Plus d’un mois s’est écoulé depuis notre arrivée dans les
eaux cubaines, un mois riche en découvertes, en aventures et en rencontres.
Cuba ne peut laisser indifférent. Si Philéas tourne la page de cette longue
étape, le souvenir d’un séjour agréable restera Fidel….
Le 5 mai Philéas se détache du quai de la marina avec un
équipage réduit ; Alain nous quitte temporairement pour poser son sac sur
un voilier du club dont l’équipage a débarqué à La Havane. Eric, le skipper
d’Aldébaran apprécie ce renfort bienvenu pour cette petite traversée.
A bord de Philéas nous reprenons nos vieilles habitudes de
quart par bordée avec une relève toutes les six heures la nuit. Le Gulf Stream
génère une mer désordonnée et Philéas s’adonne au jerk. Nous ne pestons pas
cependant car Philéas est poussé par le courant et tiré par ses voiles. Le Gulf
Stream multiplie notre vitesse par deux. Le loch affiche 8 nœuds et s’envole ponctuellement
à 10 nœuds….
Depuis huit mois, déjà, Philéas s’est éloigné de la
Méditerranée et de son port d’attache toulonnais. Océan Atlantique Nord, mer
des Caraïbes, Petites Antilles, Grandes Antilles sont devenus ses jardins de
navigation. L’équipage, à la peau cuivrée par le soleil perpétuel n’a connu ni
automne ni hiver. Tandis que l’été approche dans l’hexagone, Philéas amorce sa
remontée vers le nord des Etats-Unis en longeant la côte Est. Le plaisir des
baignades dans une mer affichant une température moyenne de 30° va céder sa
place à des activités plus hétéroclites : navigation dans les Intra
Coastal Waterways(1) aux paysages plus champêtres et forestiers que
maritimes, observation de la vie animale terrestre, passage sous des ponts
fixes et mobiles, calcul des marées et des tirants d’air… La couleur marron de
l’eau des canaux dissuade de toute envie de baignade. L’équipage bien imprégné
du rythme de vie décontracté des iles antillaises pénètre dans un autre monde.
Le style américain de vie très conventionnel contraste avec le comportement moins
vétilleux des Antillais et des Méditerranéens.
Dès notre arrivée à Key West, en
Floride, nous sommes plongés dans la rigueur américaine. Si la délégation
MédHermione bénéficie d’un accueil privilégié, fruit d’un travail assidu entre
l’équipe organisatrice toulonnaise de la croisière américaine et notre officier
de liaison franco-américain, il n’en demeure pas moins que la loi reste la loi.
Notre flottille est attendue et traitée avec bienveillance. Les cambuses des
voiliers sont inspectées, mais sans excès de zèle, à condition toutefois
d’avoir respecté les consignes édictées : aucun produit frais
d’origine animale et végétale ne doit
pénétrer sur sol américain. Les contrevenants voient leurs provisions illégales
saisies pour être brûlées. Les autorités sont courtoises et aimables mais aux
Etats-Unis on ne badine pas avec la loi, on la respecte. It’s the law !
Notre croisière sur les traces de Lafayette ne laisse pas
insensible le peuple américain. Sur le ponton de la marina à Key West les
badauds s’attardent avec curiosité devant l’affiche présentant notre périple.
Ils manifestent un intérêt réel et admiratif lors de nos échanges verbaux.
La
municipalité de la ville quant à elle s’implique directement en prenant à sa
charge les frais de l’ensemble de la flottille, une facture bien salée de
4 000 $.
Les membres de la Navy League nous honorent d’un cocktail
dînatoire organisé sur une terrasse remarquablement bien située pour
l’observation de la rade avec en prime un coucher de soleil d’anthologie et au
premier plan la réplique de la goélette America.
La première partie de la phase américaine de MédHermione
se présente sous de bons auspices !
Key West est le point extrême du sud des Etats-Unis.
Située à 207 km de La Havane elle jouit d’une position stratégique sur le
détroit de Floride à moins de 150 km des côtes de Cuba.
Dans les rues de la ville des enseignes de boutiques, de
bars, de restaurants, sur les plaques d’immatriculation des véhicules, le terme
« Conchs », « Conch republic », « Conch ceci »
« Conch cela » apparaît. Rien à voir
avec le coquillage éponyme ! Ce terme –qui se prononce conque- fait
référence aux natifs des Bahamas de descendance européenne. Les Conchs
s’installèrent en nombre après 1830 et peuplèrent Key West. Ce surnom qualifie
aujourd’hui les habitants de la ville en général mais distingue les natifs
propres, les Conchs, des habitants de longue date nés ailleurs, les Freshwater
Conchs (littéralement Conchs d’eau douce).
De 1960 à 1980, période de la révolution cubaine, Key West
fut le point de chute de nombreux exilés cubains. D’abord fréquentée par des
artistes et des intellectuels, la ville attira très vite une intelligentsia
bohème et fortunée et à partir des années 1980 un nombre important
d’homosexuels attirés par l’équanimité traditionnelle des autochtones,
l’ambiance du milieu artistique et un patrimoine architectural pratiquement
intact. La ville connut une véritable embellie et une gentrification qui
s’accéléra avec l’accroissement de sa notoriété à la fin du XXème
siècle.
Key West |
A Key West, le St Tropez américain, les rues se peuplent
et débordent d’animation en fin de journée. Musiciens et chanteurs créent une ambiance
estivale dans les bars et restaurants pour le plus grand plaisir des
clients : musiques éclectiques mais de bon goût. Les rythmes cubains ne
sont pas en reste non plus. Nous avons l’impression de temps à autre de
prolonger notre séjour à La Havane….en fermant les yeux toutefois car le cadre
est plus branché. Quelques restaurants affichent
un style hors du commun : des murs tapissés de plaques d’immatriculation,
des tables faites de vieilles bobines de films. L’imagination n’a pas de limite
pour créer une atmosphère unique.
En ville l’architecture des maisons a conservé un cachet
typique des années 1886 à 1912, à forte influence victorienne, avec des
bungalows, des maisons de type shotgun(2), des maisons à un étage, lambrissées et
coiffées de toits métalliques, toutes construites en bois sur un socle surélevé
d’environ un mètre par des pilotis. Peintes de couleurs pastel, elles sont
ornées de découpages de corniches, de
balustres et de motifs et souvent entourées d’un porche ou d’une véranda.
La ville « neuve » située à la partie Est de
l’île a été gagnée en grande partie sur les mangroves et la lagune. Elle abrite
les nouveaux quartiers à vocation résidentielle et commerciale.
Dans la marina les voiliers sont minoritaires. Les yachts
à moteur, plus adaptés à la navigation dans les canaux peu profonds surplombés de nombreux ponts, ou à la pratique
de la pêche au gros, rivalisent de taille et de puissance. Depuis le cockpit de
Philéas nous assistons au retour de pêche, à la découpe de belles prises que
les pêcheurs tout fiers suspendent à des crocs de boucher en file indienne
avant de les débiter. Têtes, queues, viscères sont rejetées à l’eau pour le
déjeuner des tarpons de tailles impressionnantes qui se ruent autour de la
poissonnerie pour engloutir une part du festin.
Les oiseaux de mer se précipitent et plongent à la hâte pour faire ripaille.
Des lamantins(3) fréquentent les eaux de la
marina. Christian et Alain ont le privilège d’en apercevoir un. A ma grande
déception je n’étais pas là au bon moment.
Nos trois jours d’escale défilent bien trop vite comme
toujours. Une journée minimum est consacrée à la maintenance, à la lessive, à
l’approvisionnement de la cambuse et pour une
fois à la recherche d’un prestataire de service pour un abonnement téléphonique
et Internet temporaire. Nos déplacements
s’effectuent en bus ou en taxi, nos fournisseurs, bien entendu, ne sont pas
concentrés autour de la marina.
Les pleins d’eau et de gasoil effectués nous quittons Key
West pour la seconde plus grande commune de Floride en termes d’habitants,
Miami.
Ville de loisirs, de distractions, Miami est une station
balnéaire dont la renommée n’est pas à démontrer. Qui n’a jamais entendu parler
de Miami ? Mais saviez-vous qu’elle est jumelée avec Nice ?
![]() |
Little Habana |
Entre Amérique du Nord, Amérique du Sud, Amérique Centrale
et Caraïbes, Miami, surnommée « Porte des Amériques » est le type
même du melting pot : quartier
englobant une importante minorité cubaine à Little Habana, quartiers à forte concentration de populations noires,
ce pôle urbain est aussi francophone par sa minorité haïtienne qui cumule les
legs de la pauvreté. Les langues vernaculaires sont l’anglais, l’espagnol mais
aussi le créole haïtien. Miami entretient des liens économiques puissants avec
l’Amérique latine. Il n’est pas surprenant qu’elle soit l’un des grands centres
hispanophones des Etats-Unis.
La métropole de Miami englobe un grand nombre d’îles parmi lesquelles Miami
Beach reliée à la côte par sept ponts routiers. Philéas choisit la version « mouillage à Miami Beach » pour échapper
au prix prohibitif -4,5 $ par pied-(4) pratiqué par la marina. Le site a de surcroît
l’avantage d’être situé à proximité des
zones commerciales et de la fameuse plage. Pour nous rendre à Miami, nous
empruntons tantôt le metrorail, métro
de 36 km, tantôt les trois lignes du metromover
ou encore les metrobus. Nous flânons
à Downtown le centre-ville, à Midtown au nord, à Little Habana, à Coconut Grove
l’un des endroits très en vogue en soirée et les weekend et fréquentés par les
étudiants, Ici notre statut de piéton n’est pas un handicap.
Passera ????? |
Notre installation à Miami Beach plonge
Christian immédiatement dans le vif du sujet : calcul des marées pour
emprunter les chenaux avec suffisamment d’eau sous la quille… et calcul du
tirant d’air pour passer sous les ponts fixes sans y abandonner une partie du
mât.
Passe.......
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Philéas ne s’est délesté ni de
son mât ni de sa quille, l’aventure MédHermione peut continuer, les experts à
Miami s’en félicitent…
Jeu de
devinette pour mes amis lecteurs :
Quel est le
point commun entre les films Goldfinder, la Cage aux folles (version
américaine), le transporteur et la série télévisée Dexter ?
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(1)Intra Coastal
Waterway : réseau de canaux et de voies d’eau navigables de 4800 situé le
long du littoral oriental américain. Les ICW s’étendent de la Floride à Norfolk.
Certaines sections sont des baies, des rivières et des détroits naturels, d’autres
ont été aménagées par l’homme.
(2) type de
maison américaine caractérisée par une structure rectangulaire étroite.
(3) lamantin : Gros
mammifère herbivore, au corps fuselé vivant en eaux littorales peu profondes. Les
lamantins figurent depuis 1973 sur la liste des espèces en voie de disparition.
Dès 1904 l’Etat de Floride a interdit la chasse de ces animaux inoffensifs. L’aquarium
de Miami est le premier à avoir réussi la reproduction en captivité. Sa large
face et son alimentation lui vaut le surnom de vache de mer.
(4) Philéas
mesure 34 pieds