2ème épisode du séjour de Philéas
Cette île s’est tournée exclusivement vers le tourisme dès le début des années 1980, les Cubains en revanche ne s’y sont jamais vraiment installés. En 2001 l’ouragan Michelle de catégorie 4 causa une onde de tempête qui inonda totalement cayo Largo. Quatre complexes hôteliers haut de gamme ont repris possession de l’île. Des tours opérateurs canadiens et italiens proposent à leur clientèle des formules vacances tout compris.
Le lendemain nous rejoignons nos amis à la marina en
empruntant le long chenal bien balisé bordé de cayos et de mangrove. Les
couleurs rivalisent pour charmer le navigateur qui s’y engage : bleu
turquoise, vert émeraude de la mer, vert tendre de la mangrove, couleurs mises
en exergue par une luminosité exceptionnelle. Epoustouflant tableau !
Christian est cependant bien trop concentré sur sa route pour profiter du
spectacle. Des aigrettes élisent domicile dans la mangrove et rajoutent une
touche de fraîcheur à ce paysage empreint de sérénité. La marina elle-même est un havre de
tranquillité, un lieu de détente. Comme sur chaque îlot cubain habité, les garde-côtes
montent à bord, font leurs pages d’écriture à notre arrivée et ne nous
restituent notre despacho(1) qu’au moment du départ, moyen le plus
sûr de surveiller nos déplacements.
A cayo Cantiles notre escale suivante, aucun garde-côtes
n’est affecté à la surveillance des eaux cubaines en revanche des gardiens de
…l’île relevés là-aussi tous les trente jours y sont chargés de la protection
du site. Leurs installations sont rudimentaires mais ils s’en contentent. Cinq
voiliers du groupe MédHermione optent pour ce mouillage forain. C’est la
surfréquentation ! Un sixième voilier, « Rio
Bravo », y a jeté l’ancre. Serait-ce un RM 1270 ? Oui et
non ; Le propriétaire a acheté la coque nue chez Fora Marine mais les aménagements intérieur et extérieur et le plan
de voilure ont été effectués par des équipementiers différents.
A notre demande, les gardiens nous autorisent à organiser
un barbecue sur la plage sous l’œil vigilent de l’un d’eux. Chaque équipage
apporte ses langoustes à griller sur la plage, Aldébaran y adjoint un beau
thazard pêché dans l’après-midi et tous se rassemblent autour d’un joyeux feu
de camp. La soirée se termine en chansons dans une ambiance festive.
Point d’appareillage matinal le lendemain, nous espérons
une livraison de langoustes par les pêcheurs…en vain. Nous relevons l’ancre en
milieu de matinée.
Le soleil est encore haut dans le ciel lorsque nous
atteignons cayo Matias. L’accès y est délimité par une passe naturelle non
balisée. Les lames déferlent sur la barrière de corail scindée en deux parties.
Au centre la nature a prévu un passage unique à l’intention des navigateurs peu
frileux. Au poste d’observation à l’étrave, juchée sur le balcon, je scrute les
fonds pour détecter des récifs malicieux qui pourraient venir embrasser nos
quilles. Les guides nautiques recensent des hauteurs d’eau de 2,5 mètres
minimum alors que le sondeur indique par endroits 2 mètres, 1,80 mètre. Nous
rebroussons chemin à deux ou trois reprises. Les données ne s’avèrent pas
fiables. La tension est palpable à bord et finalement nous restons prudents
et jetons l’ancre non loin de la passe.
Le mouillage dégage une atmosphère insolite de bout du monde. Philéas donne
l’impression d’être immobilisé en pleine mer. A la tombée de la nuit le bruit
des brisants déferlant sur les récifs est amplifié, un mince croissant de lune
illumine à peine la surface de l’eau. Le lendemain au lever du jour, Christian,
à notre étonnement, sonne le branle-bas, nous appareillons. Le skipper a mal
dormi, des nuages menaçants ont entaché sa sérénité nocturne. Nous louvoyons en
direction de la porte de sortie lorsque… Philéas s’immobilise sur un banc de
sable. Il s’en suit un grand moment de solitude, pas de marée pour nous offrir
un ou deux centimètres sous les quilles et pas âme qui vive aux alentours.
Finalement VOLVO PENTA(2), notre précieux allié, réussit à forcer le
passage sur ce fond mouvant. Les quilles tracent leur chemin, quelques petits
bonds et ouf… Philéas est libéré, sans dommage. Le dessous des quilles aura été
nettoyé des algues et coquillages épiphytes !
Travers au vent de Sud-Sud-Est de force 5, Philéas
respire. Il nous emmène à l’Isla de la Juventud(3), nous les heureux
retraités. Imposante virgule de terre au sud-ouest de Cuba l’île classée parc
national maritime, séduit les amateurs de plongée attirés par les jardins
coralliens et les grottes sous-marines. Nous jetons notre dévolu sur Puerto
Francès bordé d’une plage interminable. Nous croisons DIADEM, voilier de la
flottille, il appareille pour une navigation de nuit et nous laisse
l’exclusivité du mouillage. Là encore le côté sauvage du site et l’eau limpide sont
époustouflants. Les îles cubaines regorgent de petits paradis accessibles aux
seuls navigateurs. Le lendemain matin à l’aube, des hirondelles de mer nous
rendent visite en toute discrétion. Posées en file indienne sur la filière
elles procèdent à leur toilette quotidienne. La nature me fait un appel du pied
et m’invite à découvrir ses merveilles discrètes. Je débarque à terre, seule,
en annexe, et me laisse guider par ma curiosité ; Christian et Alain ne se
sentant pas des âmes d’explorateurs restent à bord. Sable et coraux tapissent
les fonds. Le courant entraîne en bordure de plage de nombreux poissons qui
évoluent dans dix à quinze centimètres d’eau.
Un carrelet paon reconnaissable à
ses nombreuses rosettes bleues circulaires et à sa longue nageoire pectorale,
affolé par ma présence, s’échappe tandis qu’un poisson bourse s’immobilise
espérant passer inaperçu. Et surprise, une langouste attire mon regard.
J’hésite, elle améliorerait bien l’ordinaire mais je n’ai pas de gants. Le
crustacé lève ses antennes, je les saisis d’une poigne mal assurée. Un coup de
queue nerveux et il s’enfuie à toute vitesse. La prochaine fois je ne prendrai
pas de gants mais j’en mettrai…. Ici et là sur la rive, des branches de gorgone
gisent sur le sable. Ces éventails de mer, plats et réticulés ont conservé leur
couleur pourpre. Plus loin d’imposantes étoiles de mer d’un orange soutenu,
coussins de mer à cinq doigts épais et trapus terminés en pointe n’ont pas
quitté leur milieu naturel. Je ne me lasse pas de cette ballade dans cet
aquarium géant.
La côte nord est manifestement plus surveillée que celle
du sud. A l’approche du cap San Antonio, le sémaphore prend un contact radio et
nous soumet à un interrogatoire en règle : provenance, destination, nombre
de personnes à bord, nationalité, etc… Peu avant 19h00 un garde-côtes de Punta
Morros de Piedra, sans doute informé de notre arrivée, nous attend avec
impatience sur le quai et suit avec attention notre manœuvre de mouillage.
L’annexe est gonflée à la hâte et nous débarquons pour accomplir les formalités
d’usage. Hormis les îlots inhabités, un
ou plusieurs garde-côtes sont affectés à la surveillance des tous les
abords de Cuba. En général ils se déplacent à bord pour enregistrer notre
présence et vérifier l’identité de l’équipage. C’est la première fois qu’aucune
autorité n’embarque à bord. Depuis peu une marina est implantée à Punta Morros. A vrai dire il s’agit de l’aménagement d’un
unique quai en béton existant en postes d’amarrage protégés par de grossières
défenses en caoutchouc noir. A l’heure actuelle la marina est en mesure
d’accueillir quatre ou cinq voiliers.
Un bâtiment d’apparence récente abrite
les sanitaires, le bureau des garde-côtes et de l’infirmier. A proximité un
bar-salle de restaurant et un petit magasin font la fierté du gérant. Nous
sommes les seuls clients et le maître du port est au petit soin pour nous
rendre le séjour agréable. C’est bien la première fois que nous disposons d’une
marina uniquement pour nous ! Le lendemain le cuisinier est tout heureux
de nous préparer un déjeuner. La qualité du service nous surprend ; la
présentation des plats est recherchée, le service lui-même est soigné. De
toute évidence le cuisinier-serveur y
met du cœur pour nous satisfaire.
Jusqu’à présent la plupart de nos interlocuteurs ne pratiquait que la langue de Cervantès. A Punta Morros de Piedra le personnel possède quelques notions d’anglais qu’il met à profit pour engager la discussion. L’apprentissage de l’anglais en milieu scolaire serait-il en passe de supplanter l’étude du russe ?
Le lendemain à 16h00 nous appareillons pour La Havane,
notre dernière escale cubaine et laissons nos hôtes à leur solitude et à leur
routine.
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(1) despacho : permis de navigation
La particularité de cayo Guano del Este, son phare
vraiment atypique, a attiré notre curiosité et motivé notre escale. Il ressemble
à une fusée prête à décoller. Les gardiens
exilés pour trente jours sur cette île déserte sont ravis de voir des
navigateurs débarquer et rompre la monotonie quotidienne de leur séjour. Ils
nous invitent avec plaisir à pratiquer un peu d’exercice. Nous gravissons les
234 marches, l’escalier en colimaçon n’en finit pas de tourner encore et
encore.
Au sommet notre récompense nous attend, nous avons attrapé le pompon…une superbe vue plongeante sur la mer et sur Philéas, reposant 45 mètres plus bas, bien petit sur cette immensité bleue. Notre guide nous explique que l’ancien phare a été détruit par un cyclone entraînant des morts parmi les gardiens. Reconstruit en 1972 avec l’aide des russes, ce puissant phare a pris la relève. Des pêcheurs viennent jeter leur ancre de temps à autre aux abords de l’île. L’accostage n’y est pas possible et le débarquement peu aisé. La côte déchiquetée au corail agressif dissuade toute tentative d’approche. Il est plus sage de débarquer en annexe au nord, sur la plage et de rejoindre le phare par la terre. Pour changer des langoustes nous achetons du poisson aux gardiens, un beau pargo à chair bien goûteuse qui fera ce soir le bonheur de l’équipage.
Au sommet notre récompense nous attend, nous avons attrapé le pompon…une superbe vue plongeante sur la mer et sur Philéas, reposant 45 mètres plus bas, bien petit sur cette immensité bleue. Notre guide nous explique que l’ancien phare a été détruit par un cyclone entraînant des morts parmi les gardiens. Reconstruit en 1972 avec l’aide des russes, ce puissant phare a pris la relève. Des pêcheurs viennent jeter leur ancre de temps à autre aux abords de l’île. L’accostage n’y est pas possible et le débarquement peu aisé. La côte déchiquetée au corail agressif dissuade toute tentative d’approche. Il est plus sage de débarquer en annexe au nord, sur la plage et de rejoindre le phare par la terre. Pour changer des langoustes nous achetons du poisson aux gardiens, un beau pargo à chair bien goûteuse qui fera ce soir le bonheur de l’équipage.
Nous partageons ce mouillage avec nos amis MédHermionistes
d’Eraünsia et nous retrouvons autour d’un ti-punch siroté dans le cockpit de
Philéas en contemplant le soleil déclinant en douceur. Après une paisible nuit
de sommeil et un dernier regard sur ce phare insolite nous appareillons pour
rejoindre cayo Largo del Sur où la flottille a choisi de se rassembler.
Cette île s’est tournée exclusivement vers le tourisme dès le début des années 1980, les Cubains en revanche ne s’y sont jamais vraiment installés. En 2001 l’ouragan Michelle de catégorie 4 causa une onde de tempête qui inonda totalement cayo Largo. Quatre complexes hôteliers haut de gamme ont repris possession de l’île. Des tours opérateurs canadiens et italiens proposent à leur clientèle des formules vacances tout compris.
Nous nous installons dans un premier temps à l’extérieur
du chenal d’accès au milieu d’îlots au sable blanc éclatant. Les fonds
avoisinants les cayos sont peu profonds et obligent à rester à une distance
respectable des plages. En fin de journée les catamarans promenant les
touristes de cayo en cayo désertent le plan d’eau et nous partageons
l’exclusivité du site avec une poignée de plaisanciers.
![]() |
cayo Largo del Sur |
![]() |
Cayo Cantiles |
![]() |
Langouste |
![]() |
Hirondelles de mer |
![]() |
carrelet |
La mer véhicule des objets disparates étrangers à la
nature et le courant se charge de les déposer sur le rivage : une tongue,
une chaussure en caoutchouc, des morceaux de plastique etc… Un immense filet
s’est échoué sur la plage, ses longues mailles orange telles des
tentacules emprisonnent la végétation
basse.
Je rebrousse chemin et tente une incursion dans l’île à la
recherche d’oiseaux endémiques. Tiens l’homme est passé par là ! Un
sentier relativement large a été tracé entre les arbres. Il doit probablement
relier la plage au club de plongée situé à cinq kilomètres. Je m’y engage. Les
moustiques m’agressent sans vergogne, les oiseaux hyperactifs ne tiennent pas
en place, il est difficile de les approcher. Puis un bruit de sabots vient
rompre le silence ; bouche bée, je vois passer devant moi un …cervidé.
Interloquée, je m’exclame : « Cà alors ! » C’était
bien le dernier animal que je pensais rencontrer ici. L’heure tourne, il me
faut rentrer à bord. Une mouette à tête noire d’Amérique s’envole à proximité
du dinghy. Après cette excursion fort agréable, un petit bain
rafraichissant est le bienvenu, les températures de l’air et de l’eau voisinent
respectivement les 34° et les 30°.
Nous naviguons de cayo en cayo soit en journée lorsque la
distance à couvrir n’excède pas les cinquante nautiques, soit de nuit si le
trajet avoisine les quatre-vingt nautiques. Cuba, 7ème île du
monde par ses dimensions, et la plus grande des Antilles, regroupe environ 1600
îles et cayos, 3715 km2. Un mois à vagabonder dans cette immensité
laisse un sentiment de découvertes inachevées et appelle à un séjour bien plus
long, sans impératif de rendez-vous. Chaque îlot est un émerveillement. La
beauté sauvage des paysages et de la flore nous laisse sans voix. La main de
l’homme ne s’est pas encore abattue sur ces trésors naturels. Nous avons un
aperçu de ce que furent jadis les Antilles, et de toutes ces îles encore peu
fréquentées et louées par les premiers navigateurs aventuriers. Les Jardins de la Reine attirent
sporadiquement quelques voiliers mais plus nous remontons vers le nord plus les
rencontres sont rares. Quel privilège de disposer de l’exclusivité des
mouillages. Nous en usons sans modération et sans nous lasser. La côte d’Azur, noire
de plaisanciers en juillet-août ne nous déroulera jamais un tel tapis rouge.
Jamais nous ne ressentons de monotonie, la mer est un théâtre bien vivant pour
le navigateur réceptif à son environnement.
Un jour, à l’heure où le soleil décline, un passager tente
une approche clandestine. La houle balance la piste d’atterrissage et rend
l’opération mal aisée. L’hirondelle de mer survole Philéas à moult reprises,
virevolte, s’éloigne, revient. Les barres de flèche sont trop larges pour s’y
agripper, la grand-voile n’offre aucun rebord. Nous observons son manège sans
bruit et surtout sans bouger. Elle passe au-dessus de nos têtes puis finalement
parvient à se poser sur le banc à côté de mon pied. Je retiens mon souffle pour
ne pas l’effrayer. Son équilibre est précaire. En sautillant, elle se rapproche
en se plaquant au sol. Elle semble épuisée. Ses petits battements d’aile
tendent à contrebalancer la gite de Philéas mais décidemment la situation est trop
inconfortable, elle reprend son envol.
Des dauphins viennent souvent nous rendre visite et
flirter avec l’étrave de Philéas. Tels des enfants nous nous installons aux
premières loges et observons leurs ballets et leurs jeux. Ils chevauchent les
vagues et nous jettent de petits coups d’œil malicieux. A quelle famille
appartiennent-ils ? Les livres sont alors de sortie et nous donnent des
indices. Ceux régulièrement rencontrés à
Cuba sont des dauphins tachetés pantropicaux identifiables à leur dos moucheté,
leur long rostre, blanc à l’extrémité.
Un autre jour, à la fin du déjeuner pris dans le cockpit,
mon attention est retenue par une masse dans le sillage de Philéas. Corps
fuselé et ailerons bleus fluorescents
d’apparence, nous reconnaissons un requin
sans en distinguer l’espèce. Il semble particulièrement intéressé par l’hélice
de notre hydro-générateur. Christian s’empresse de relever le watt & sea
avant qu’une pale ne se fasse croquer…
Nous rejoignons Maria La Gorda à l’issue d’une navigation
nocturne. L’intérêt de cette escale est relatif. Un hôtel, le plus reculé de
l’île, jouxte une plage bordée de palmiers. Il est fréquenté par des amateurs
de plongée. Nous en profitons pour faire recharger notre bouteille et prendre
un peu de repos avant de poursuivre vers le cap San Antonio.
restaurant particulier |
Marina Punta Morros de Piedra |
Jusqu’à présent la plupart de nos interlocuteurs ne pratiquait que la langue de Cervantès. A Punta Morros de Piedra le personnel possède quelques notions d’anglais qu’il met à profit pour engager la discussion. L’apprentissage de l’anglais en milieu scolaire serait-il en passe de supplanter l’étude du russe ?
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(1) despacho : permis de navigation
(2) VOLVO
PENTA : marque de notre moteur.
(3) Isla de la Juventud :
ile de la jeunesse.
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