Notre escale à la porte de l’Atlantique se prolonge. Les apéritifs
dînatoires sur chacun des trois voiliers de la flottille MedHermione sont
toujours des moments de convivialité appréciés. A défaut de places disponibles
à quai à Gibraltar un regroupement imprévu à la marina espagnole de la Línea de
la Concepción, située à quelques encablures,
nous a réunis. Cette marina moderne regorge de postes d’amarrage
vacants ; la capitainerie est distante des pontons d’un bon kilomètre, pas
très pratique pour les doléances en cours de séjour ! Le personnel ne
brille ni par sa courtoisie ni par sa célérité. A notre arrivée l’employée,
affairée à plier des cartons sur le comptoir d’accueil, ne s’est pas départie
de sa tâche prioritaire. Ensuite, seulement, elle nous a remis un formulaire à
remplir et est retournée vaquer à ses occupations : discuter avec sa
collègue, répondre au téléphone… pendant que nous attendions bien sagement
qu’elle se souvienne que nous étions là. La saisie informatique des
renseignements nous concernant, entrecoupée par des travaux apparemment plus
urgents, a nécessité encore un certain temps.
La Línea n’est pas une ville très animée ; de nombreux commerces sont
fermés ou n’ont peut-être même jamais vu le jour. Des locaux commerciaux aux
façades murées sont à louer ou à vendre. Les rues sont sales et les espaces
verts à défaut d’entretien vieillissent mal. En revanche un supermarché
facilement accessible à pieds permet de parfaire l’approvisionnement en vivres
du bord à des prix attractifs.
Anone : fruit commun sur les étals de La Línea. Il ressemble au corossol sans en avoir le goût.
Gibraltar, enclave anglaise située de l’autre côté de la frontière
accueille chaque jour des milliers de travailleurs espagnols. Un défilé de
véhicules encombre aux heures de pointe la route reliant les deux
agglomérations. Nous nous y rendons à pieds, passeport en poche, passons le poste
d’immigration et nous retrouvons immédiatement sur la piste d’atterrissage de
l’aéroport que nous traversons pour arriver en ville. Assez insolite comme
arrivée en territoire anglais : par le tarmac sans descendre d’un
avion !
Samedi 3 octobre : la météo est propice à la poursuite de notre
voyage. La carte des courants de marée dans le détroit décide pour nous de
notre heure d’appareillage ; 14 heures est le bon moment pour profiter des
courants de marée. Notre passage en Atlantique s’effectue en douceur. Les
conditions sont de loin plus agréables que lors de notre traversée en octobre
2011. Le vent toutefois reste un peu timide.
En fin de soirée, l’océan nous réserve un accueil renversant ; fin de
la navigation idyllique ! Poséidon se réveille de mauvaise humeur, la
houle grossit encore et encore et s’amuse à se croiser. Le vent s’invite à la
partie « roulis et tangage à tous les étages ». Pour gagner en
confort, que dis-je pour réduire notre inconfort, nous réduisons la toile tout
au long de la nuit ; un ris1 puis deux dans la grand-voile,
trinquette hissée puis trois ris dans la grand-voile et un ris dans la
trinquette. Philéas fait de l’alpinisme, il gravit des montagnes pour retomber
lourdement dans le creux de la vague. Mauvais temps pour les algues et
coquillages qui voudraient squatter sa carène. A bord l’appétit est minime,
nous ne viderons pas la cambuse ce soir. Notre courageux Philéas file 6
nœuds toute la nuit faisant fi de la furie de la mer. Poséidon nous malmène
jusqu’au milieu de la matinée suivante puis la houle réduit d’intensité
progressivement pour devenir supportable. Philéas retrouve sa garde-robe, la
porte du réfrigérateur s’ouvre à nouveau ; l’équipage reprend des forces.
Les jours et les nuits se succèdent. Eole souffle bon an mal an,
s’essouffle parfois, se ressaisit et réapparait avec plus ou moins de
vigueur mais toujours du
nord-nord-ouest, sa seule constance (pour l’instant). Nous nous en
contenterons. Mais avons-nous vraiment le choix ?
Plus que 120 nautiques nous séparent de notre destination… en théorie, en
ligne droite. Le vent en décide autrement, fait un caprice, passe au sud-ouest
et nous contraint encore une fois à tirer des bords. Nous restons
positifs ; nous pourrions être sur une mer démontée avec des grains
menaçants mais non le ciel est dégagé, le soleil brille. Nous n’avons pas de
rendez-vous avec notre patron, nous avons le temps.
Nos pensées vont vers nos camarades de la flottille MedHermione encore à
Toulon. Nous imaginons l’effervescence au club nautique, les équipages se
hâtant dans les préparatifs des derniers jours, le marathon des dernières
heures pour être fin prêts le jour « J ».
A l’occasion du lancement officiel de MedHermione, Toulon Provence Méditerranée
organise un grand weekend nautique sur le port mettant en exergue le passé
maritime de la ville de Toulon. Les organisateurs doivent être dans les starting-blocks
eux aussi, pendant qu’à 1200 nautiques de là, nous glissons lentement vers
l’archipel de Madère.
A une centaine de milles au nord-est de Madère nous passons à la périphérie
d’une marmite géante, le Banco Seine ; les fonds remontent de 4 000 à
une centaine de mètres seulement. Un phénomène d’upwelling2 engendre
un bouillonnement impressionnant à la surface de la mer qui ralentit notre
vitesse déjà peu élevée. Eole quant à lui persiste à souffler du
sud-ouest ; notre destination étant dans le 250° nous louvoyons encore et
toujours depuis le début de la matinée, à l’affût du moindre changement. Quand
le vent adonne3 nous grattons quelques degrés et quand il refuse,
nous en perdons autant.
Ce soir mon amie la lune ne me tiendra pas compagnie pendant mon
quart ; de vilains nuages s’accaparent le ciel et le recouvrent d’un
manteau noir, des grains batifolent de-ci de-là. C’est parti pour la salsa du
démon !
Le lendemain nous espérons arriver dans l’après-midi. Mais c’est sans
compter avec les éléments qui se liguent contre nous. Eole se plante devant
nous et affirme « You shall not pass4!». Une forte houle,
venue d’on ne sait où, s’allie au vent. Un combat acharné est déclaré. Les
forces sont inégales, nous devons ruser et avançons cahin caha en zigzags. La
mer chaotique nous empêche de remonter au plus près du vent. Nous avons
l’impression de faire un pas en avant, deux pas en arrière. Nous rêvons d’avoir
un moteur puissant5 et de foncer dans la plume en faisant voler en
éclats cette satanée barrière. De temps en temps la houle s’essouffle, nous en
profitons pour allonger la foulée. Furieuse elle revient au galop, nous
ballote, soulève Philéas qui retombe lourdement. Nous avons mal pour lui.
Imaginez-vous plonger d’un promontoire de 2 mètres de haut et faire un plat. A
l’intérieur comme à l’extérieur impossible de se déplacer normalement ; une
main pour se tenir, une main pour travailler, les pieds plaqués sur le sol pour
éviter la perte d’équilibre. Nous apprenons à marcher sur l’eau en ébullition.
Depuis plusieurs heures nous distinguons les lumières de l’île de Porto
Santo, encore un dernier virement de bord et à 01h45 nous mouillons l’ancre sur
la plage de la baie Moreno pour le reste de la nuit. La lutte est terminée,
Eole et Neptune sont repartis chercher d’autres combattants… Demain matin nous
rejoindrons la marina de Porto Santo et nos amis de Black Niboun contactés par
VHF6.
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1 Prendre un ris : lorsque le vent forcit, la superficie
de la grand-voile peut être réduite en prenant ce que l'on appelle un ris. Le nombre de ris pris dépend
de la force du vent. Sur Philéas nous pouvons prendre jusqu'à trois ris dans la
grand-voile et un ris dans la trinquette.
2 Upwelling : remontée d'eaux froides profondes habituellement sur un littoral.
3 Adonner : le lit du vent s’écarte de l’axe du bateau, gonflant ses voiles.
Refuser : c’est l’inverse.
4 You shall not pass ! :
réplique culte de Gandalf le Gris dans le livre « Le seigneur des
anneaux » Vous ne passerez pas !
5 Le moteur de Philéas ne fait que
27 CV.
6 VHF (Very High Frequency) :
émetteur-récepteur utilisé pour communiquer de voiliers à voiliers ou avec les stations côtières et pour la sécurité.
Bonjour amis marins, je lis les récits de votre navigation avec plaisir, merci Brigitte et Christian de nous faire partager cette aventure, je vous souhaite bon vent et belle mer, , Amitiés Guy
RépondreSupprimerBonjour Brigitte et Christian .Ah la houle que avez supporté a toute-fois fait le bonheur des surfeurs qui avaient leur etape du championnat de France à Hossegor ,il falait voir les vagues importantes .Souvenirs souvenirs de Gibraltar c'est atypique la piste de l'aéroport .Bon vent à vous tous Patrick Anne Marie et Damien
RépondreSupprimerMerci Brigitte pour ce récit. Je n'aurai pas voulu être à ta place. Au fait nous avons vu à la télé l'Hermione à Bordeaux. Plein de gros bisous à vous 2.
RépondreSupprimerLiliane