Vendredi 13, notre
jour de chance, le guindeau reprend enfin du service !
14h15, l’ancre est
relevée, Philéas et son équipage, dans les « starting blocks », font
des ronds dans l’eau devant le pont séparant Sandy Ground de la baie de
Marigot.
14h30 la porte de
la liberté s’ouvre sur l’océan atlantique. Nous nous engageons dans le chenal
d’accès et retrouvons une baie à l’eau turquoise. Un dernier essai du guindeau
valide la fin des travaux et nous prenons le large en direction de Culebra, île
vierge espagnole.
Un vent portant de nord-est de 20 nœuds nous
accompagne pendant 24 heures et nous lui en savons gré. La mer bien formée et
une houle croisée de deux mètres nous rappelle la fragilité de nos estomacs déshabitués à tant de désordres. Les séjours prolongés sur le plancher des
vaches ramollissent le marin et les organismes perdent la mémoire de
l’inconfort… Nous remercions Éole de ne pas nous abandonner car avec une telle
houle l’absence de vent transformerait Philéas en shaker frénétique.
La nuit s’annonce
étoilée mais aujourd’hui pas question de nous attarder à la contemplation du
ciel ; de nombreux bateaux croisent notre route et la vigilance du
veilleur est requise.
En début
d’après-midi l’île de Culebra se dévoile peu à peu. Nous nous dirigeons vers la
baie « ensenada Honda »(1) accessible uniquement en venant
du sud-est et en suivant rigoureusement le
chenal d’accès. Le site est mal pavé, de part et d’autre de nombreuses
« cayes »(2) tapissent les fonds, les distraits risquent d’y laisser leur bateau. Surprise nous
croisons P’tit Mousse puis Alex Marie de la flottille MédHermione. Un rapide
échange entre marins et chacun poursuit sa route, nous nous retrouverons
ultérieurement.
Plage avant je
dévire manuellement la chaîne, l’ancre tombe sans autre intervention, plus
besoin de l’aider, au contraire elle a tendance à se prendre pour speedy gonzales. « Du doigté » me dit le skipper,
« du doigté ! ».
A Culebra, île satellite de Porto Rico,
elle-même état indépendant rattaché aux États-Unis, les formalités
d’immigration s’effectuent à l’aéroport, aérodrome accueillant des petits
porteurs et des aéronefs privés. L’activité y est cependant significative. La
rigueur américaine est de mise. Nous nous présentons sans attendre à l’officier
d’immigration, non sans avoir pris un contact téléphonique en amont. Avant tout
chose, il s’enquiert de notre possession d’un visa d’entrée américain :
« Vous avez bien un visa, pas un ESTA(3) ? Avez-vous
téléphoné avant de venir ? Quel est le nom de votre bateau ? ».
Mais pourquoi diable devoir téléphoner au préalable, le bureau est ouvert
jusqu’à 17h00 ? Pas question de jouer aux fortes têtes, nous sommes sur le
sol américain et ici on ne badine pas avec les autorités. Français râleur
ou contestataire s’abstenir ! Les
formalités durent un temps certain –heureusement nous ne sommes que trois à
bord- mais l’atmosphère se détend peu à peu. Nous sommes autorisés à circuler à
Culebra, Vieques et Porto Rico et à naviguer dans les eaux américaines.
Le plan d’eau
bordant les îles vierges espagnoles est parsemé de hauts-fonds. La navigation
requiert une attention accrue pour zigzaguer
entre moult pâtés de coraux.
Côté terre, le vert soutenu est la couleur prédominante. Armée de ma curiosité et
de mon appareil photo, je me lance, seule, à la conquête du lieu. Christian frappé
par un lumbago depuis St Martin reste à bord pour se reposer tandis qu’Alain
préfère savourer la quiétude du mouillage.
Culebra, île
sauvage, encore préservée de l’appétit vorace des investisseurs immobiliers
attirent Portoricains l’espace d’un weekend et touristes étrangers. Depuis
1975, année où la marine américaine a cessé d’utiliser l’archipel comme cible
d’entraînement, ce groupe de 24 îles broussailleuses, situé à quelques 35 km au
large de la côte est de Porto Rico, connaît un nouvel essor. La circulation se
résumait auparavant à deux ou trois voitures. Progressivement le parc
automobile s’est enrichi de nombreux véhicules type voiturettes de golf fort
bien adaptées aux déplacements sur cette petite île. Les touristes semblent
particulièrement apprécier ces quatre roues dépourvues de carrosserie. Et des
4X4 rutilants, de marque Jeep, signe du rattachement de Culebra aux Etats-Unis,
y fleurissent désormais. De plus en plus de voyageurs portoricains commencent à
apprécier les charmes de ces îles nonchalantes, attirés par ses superbes plages
et ses récifs coralliens préservés qui font la joie des plongeurs.
Avec ses 11 km sur
6 km la petite île de Culebra, dont le nom signifie couleuvre en espagnol,
domine l’ensemble de l’archipel. La ville principale, Dewey rassemble presque
tous les habitants de la région, soit environ 2 000 âmes. Flamenco beach
sur la côte nord, la plus belle plage de l’île, attire les amateurs de
baignade. Suffisamment vaste, elle offre une intimité aux vacanciers que nos
plages méditerranéennes peuvent lui envier. Un mouillage forain n’est cependant
pas conseillé ; une forte houle vient s’écraser de façon récurrente, sur
le rivage. Un tel ressac est suffisamment dissuasif et la tenue de l’ancre y
est bien aléatoire. Lors de ma balade sur le rivage, le drapeau rouge est
hissé, d’énormes rouleaux brassent énergiquement le sable.
Attirée par la
réserve naturelle jouxtant la plage je m’y engage en quête de quelques oiseaux
hors du commun. La rencontre avec l’oiseau rare ne sera pas pour aujourd’hui.
Peut-être aurais-je dû m’engouffrer plus à l’intérieur. Une telle initiative
est cependant à proscrire ; cette ex-zone militaire est encore truffée d’explosifs. Seul un insouciant
se risquerait à s’aventurer hors du sentier balisé.
Un peu d’histoire
Découverte en même
temps que Porto Rico par Christophe Colomb, en 1493 lors de son deuxième
voyage, elle est alors habitée par les Indiens Tainos. Pendant trois siècles
elle sert de refuge aux pirates, dont le célèbre Henry Morgan. En 1875, un
Anglais de couleur du nom de Stevens est nommé gouverneur de l’île par le
gouvernement de Vieques. Il doit protéger des pirates l’île et les pêcheurs
mais est assassiné la même année. Culebra n’est réellement habitée qu’à partir
de 1880 avec l’implantation de Cayetano Escuelero Sanz.
Le 25 septembre
1882 débute à Culebrita, un petit îlot au nord-est de Culebra, l’édification
d’un phare. Il est achevé le 25 février
1886 et reste pendant près de 100 ans, jusqu’à sa mise hors service en 1975, le
plus ancien de la mer des Caraïbes.
En 1902 Culebra est
intégrée à l’île de Vieques. En 1903 le président américain Théodore Roosevelt
crée une zone navale militaire sur l’île à des fins d’entraînement au
bombardement. La population de Culebra proteste violemment à partir de 1971 et
obtient gain de cause en 1975 avec le déplacement des opérations sur l’île de
Vieques.
Culebra est
déclarée municipalité indépendante en 1917. Toutefois le gouverneur de l’île
reste nommé par l’administration de Porto Rico jusqu’en 1960. Depuis cette
date, Culebra élit librement ses représentants.
Porto Rico nous
attend. Ce matin le branle-bas est matinal. Nous avons 25 nautiques(4)
à parcourir pour atteindre Fajardo, situé au sud-est de l’ile et nous entendons
bien arriver pour déjeuner.
(1) ensenada :
signifie en espagnol anse, crique.
(2) caye :
haut-fonds généralement rocher à fleur d’eau
(3)
Les
voyageurs étrangers arrivant sur le sol américain par un moyen privé sont
assujettis à la possession d’un visa délivré par le consulat américain
implantée à Paris. Ils doivent se rendre physiquement devant l’officier
d’immigration qui après entretien leur délivre un visa en général d’une
validité de 10 ans. En revanche les visiteurs voyageant par une compagnie
commerciale n’ont besoin que d’un visa simplifié dit ESTA qui est délivré en se
connectant sur le site Internet gouvernemental des États-Unis.
(4)
un
nautique correspond à 1852 mètres. En l’occurrence nous avons 46 km pour
atteindre notre destination.
Je suis contente de savoir que vous avez pu reprendre la mer après la réparation du guindeau.
RépondreSupprimerEt toi comment vas tu ?
Je vous souhaite une bonne continuation.
Plein de gros bisous.
Liliane