Le 27 mars au
lever du jour l’île à Vache sort de la pénombre et livre discrètement ses
formes au veilleur de service. Les abords de l’île sont constellés
d’embarcations de pêcheurs, petites barques rustiques grées d’un bout dehors(1)
basique. La superficie de leur voilure augmentée par cet ingénieux espar compense
l’absence de moteur.
A l’approche des côtes de nombreux casiers signalés par
des petites bouteilles en plastique, envahissent le plan d’eau. Nous
louvoyons pour les éviter. Cette terre
encore inconnue des équipages MédHermione offre l’hospitalité à la flottille
pour son 5ème rassemblement. Philéas embouque le chenal débouchant
Cap Feret, agréable baie bien abritée.
L’île à Vache
allie beauté sauvage, soleil généreux et mer dénuée d’agressivité. La
tranquillité y est cependant toute relative. L’ancre est encore sur le davier
qu’une myriade de canots creusés dans des troncs d’arbre et d’engins
flottants encercle les navigateurs : de jeunes hommes, des adolescents,
des enfants abordent les équipages, toujours avec gentillesse, pour proposer leurs services. Les emplois sur
l’île sont rares et les autochtones abordent les capitaines en quête de quelques travaux : une coque à
nettoyer, des inox à entretenir, un tour guidé de l’île, un approvisionnement
en fruits et légumes, une lessive, etc… Les échanges sont toujours courtois, il
n’est jamais question de mendicité. La volonté de travailler est manifeste.
Le choix de
notre escale n’est pas le fruit du
hasard. Le séisme de 2010 a marqué les esprits et surtout frappé une population
déjà bien démunie. Notre aventure MédHermione est une formidable occasion
d’apporter notre pierre à l’édifice « aide humanitaire ». Des
vêtements, des cahiers, des stylos, des livres, des savons et autres présents,
collectés, achetés et affrétés par les MédHermionistes sont débarqués à l’île à
Vache. Notre correspondant, Claude Grudé, général de gendarmerie (2S), ami de
notre président, prend le relais. En poste à Haïti à plusieurs reprises, Claude
connaît parfaitement le pays et les besoins du peuple. Nos dons sont destinés à
un orphelinat de Pestel, situé sur l’île principale.
Pauvres mais
pas miséreux, tels sont les autochtones. Ils ont la chance d’habiter sur une
île séduisante de l’archipel, attirant des marins quelques fois généreux et
bienfaisants. Si ici le superflu n’a pas cours, les îliens ne se plaignent pas mais discutent librement avec le
voyageur de leurs besoins. Christian, le capitaine, est l’interlocuteur mandé
par les boat-boys gravitant autour de Philéas. Le capitaine à bord d’un voilier
est le chef, le patron par qui arrive travail ou matériel. Le premier jour de
notre arrivée est un défilé incessant de
visiteurs. Impossible de satisfaire tout le monde. Notre capitaine fait don
d’un masque et d’un tuba à un pêcheur. Reconnaissant le jeune homme se confond
en sincères remerciements.
Les habitants de Port au Prince sont de toute
évidence moins chanceux. Les touristes n’y sont pas légion, la capitale n’a
rien à leur offrir. La métropole a été touchée de plein fouet par le séisme de
2010. Les habitations y ont été dévastées laissant un spectacle de désolation
aux infortunés sinistrés. Port au Prince, comme toutes les capitales des pays
pauvres, attire les Haïtiens des zones plus
ou moins reculées en quête d’un emploi et d’un avenir meilleur. Belle utopie,
la réalité s’avère le plus souvent bien amère.
Sur l’île à Vache la nature n’est pas ingrate ;
les produits de la terre et de la mer parviennent à satisfaire les besoins
vitaux des habitants. Dans le village, rares sont les maisons construites en
dur. Quelques échoppes ou stands en plein air proposent des produits de
premières nécessités. A notre étonnement nous trouvons une boulangerie et une
boutique à souvenirs. En revanche aucune habitation n’est équipée d’eau
courante et bien entendu de salle de bains. Nous croisons des femmes
transportant des seaux d’eau. Des fontaines ont été installées à deux ou trois
endroits dans le village mais elles ne sont pas alimentées. Ces corvées
poussent à une utilisation parcimonieuse de « l’or liquide ».
De
quoi faire réfléchir les amateurs de douches bi-quotidiennes et de bains de nos
contrées ! L’hôtel Morgan, l’un des deux établissements hôteliers
implantés sur l’île dispose de dessalinisateurs pour satisfaire les besoins en
eau douce de sa clientèle. Lors de notre passage, ils étaient en panne depuis
trois semaines et le précieux liquide devait être acheminé via bateau par
bidons depuis le village des Cayes situé sur l’île principale.
L’île à Vache, d’une longueur de 5 km, est traversée
par une piste en terre battue dont une partie est bordée de lampadaires
solaires. Curieuse priorité pour une île qui manque de l’essentiel ! La
moyenne d’âge des autochtones croisés est peu élevée, probablement moins de
trente ans. L’étranger en balade est bien souvent escorté par une ribambelle
d’enfants. Notre premier débarquement ne passe pas inaperçu. Très vite des
enfants nous emboîtent le pas et engagent la discussion. Une fillette d’ue
huitaine d’année glisse sa main dans la mienne et propose de nous accompagner.
Nous traversons le village et le cortège s’étoffe. Ces enfants, scolarisés,
parlent le créole en famille et entre eux mais également le français et
quelques bribes d’espagnol et d’anglais.
Baie Feret |
Notre
regroupement, le second de l’année 2015, est l’occasion d’un briefing succinct
sur les prochaines étapes de la phase pré-américaine suivi d’un rapide
apéritif. L’hôtel Morgan, merveilleusement bien situé, met à notre disposition
une terrasse surplombant la baie Feret.
Le propriétaire, Didier Boulard, Français d'origine, s'est retrouvé sur
l'île par hasard, il y a près de 30 ans, lors d'un voyage en voilier.
Après trois nuits de tempête, l'accueil de la population et la quiétude du site
lui ont donné envie de rester plus longtemps. « Il y avait un charme particulier ici, complètement différent de ce que
nous avions visité pendant 18 mois dans le reste des Antilles»,
raconte-t-il. Il lui aura fallu dix ans pour construire l'hôtel, qui date
maintenant d’une quinzaine d’années et compte trente chambres. Au fil de nos
navigations nous rencontrons des navigateurs qui ont cédé « au coup de
foudre » d’une île à la beauté sauvage : à Union dans les îles
Grenadines, à Nevis, au cap Vert,…. L’équipage de Philéas va t-il se laisser se
séduire un de ces jours et poser ses valises sur une terre paradisiaque ?
En revanche
inutile de chercher le lieu de notre repas de retrouvailles dans le catalogue
des tours opérateurs. Notre choix se porte sur la gargote de Ruth. La cuisine
installée au bord de l’eau ressemble davantage à une installation de fortune
qu’à une cuisine et ferait hurler d’effroi les services sanitaires français.
Pas de plan de travail, pas d’évier et de robinet –bien inutile en l’absence
d’eau courante-, les ingrédients sont préparés et disposés dans des bassines
posées à même le sol. Des tables et des chaises sont posées sur la terre
battue, des feuillages ou des toiles font office de toits mais l’accueil y est
chaleureux. L’authenticité à l’état pur ! Ruth a recruté six cuisinières
du village pour nous préparer un repas pour…30 personnes. Un vrai défi ! A
défaut de quantité suffisante d’un seul plat pour tous les convives, un
patchwork de mets locaux, à partager, est présenté sur les tables. A l’île à
Vache si le mot abondance ne fait pas partie du dictionnaire, les idées ne
manquent pas.
L’arrivée au
pouvoir du Président Michel Martelly est
marquée par une volonté d’ouverture de Haïti au business et par l’annonce
d’un projet, « Destination touristique Ile-à-Vache », ambitieux chantier
évalué à plus de 230 millions de dollars américains. Le plan d'aménagement
touristique, mis en œuvre par le ministère du Tourisme, prévoit la tenue
d'importants travaux dont : la construction d'un aéroport
« international » avec une piste de 2,6 km ;
la construction d’un axe routier le desservant ; le dragage du port,
l'électrification et l'éclairage de toute la zone environnante ; la
construction de plusieurs hôtels de luxe (1 000 chambres), de 2 500
villas –condominium-, d'un Centre communautaire ; d'une radio
communautaire ; d'un Centre d'urgence, ainsi que la mise en place
d’infrastructures agricoles. Le Premier-Ministre, Laurent Salvador Lamothe a
procédé le 1er février 2013 officiellement à la pose de la première
pierre de l’aéroport international des Cayes, toutes les dispositions sont déjà
prises pour lancer prochainement les travaux de construction d’un autre
aéroport international à l’île -à-vache. En revanche, la population ne se sent
pas impliquée dans ce projet et ne cache
pas son appréhension quant à son avenir. Et pour cause, le gouvernement va
s'emparer des terrains sans dédommager les Illavachois. Ces derniers craignent
que l'île soit divisée en deux, d'un côté les riches et de l'autre les pauvres,
laissés pour compte. Le leader de la population, Jean-Lamy Matulnes, a déposé
une demande d'autorisation pour une radio communautaire. Il a été arrêté et mis
en prison au pénitencier à Port au Prince sans jugement le 26 février 2014.
Cette situation a provoqué une mobilisation internationale. Des menaces sont
proférées régulièrement aux habitants qui font preuve d’initiatives pour
développer un business non contrôlé par la « mafia » reconnue. Ils
doivent rester dans l’ombre et dépendants. La gargote de Ruth déplaît
fortement. Des arguments « sanitaires » sont exposés aux touristes pour les dissuader d’y prendre table :
manque d’hygiène, pas de moyen frigorifique de conservation des aliments. Nous
y avons néanmoins tenu notre grand repas de rassemblement et…. personne n’a été
malade !
Si notre
séjour haïtien fut court, nous conserverons en mémoire le souvenir d’une escale
agréable dans une baie à la beauté naturelle encore préservée. Le sera-t-elle
encore dans une dizaine d’années ?
Le 29 mars les
premiers voiliers de la flottille appareillent. Philéas lève l’ancre le
lendemain, le cap est mis sur la Jamaïque.
RAPIDE PRESENTATION DE L’ÎLE A VACHE
L’île à Vache ou l’île à Vaches, est une île de la
mer des Caraïbes, au sud d’Haïti. Elle est située à 10 km
au sud-est de la ville haïtienne des Cayes. D’une superficie d'environ 45,96 km2, elle s’étend sur 15 km en longueur d'est en ouest et sa plus grande
largeur est de 5 km. Elle héberge environ 14 000
habitants.
La partie ouest d’une altitude de 150 m, comporte plusieurs petits marais dans les
vallées. La partie orientale est également marécageuse et possède une lagune
avec l'une des plus grandes forêts de mangrove de l’île.
HISTOIRE
L’île fut un repaire de pirates, tel que l'Anglais
Henry Morgan au XVIIème siècle. L'ex-corsaire Laurent de Graff
devint ensuite son gouverneur.
En 1698, Jean-Baptiste du Casse, gouverneur de Saint
Domingue, concède l'île-à-Vache à Jean Le Goff de Beauregard. L'île ne fait pas
partie de la concession accordée à la Compagnie de Saint Domingue sur la
presqu'île du Sud. Après la mort de Beauregard en 1699, la Compagnie de
Saint-Domingue récupère l'île en 1700.
Bonjour Brigitte
RépondreSupprimerQuel travail de rédaction. Je me demande comment tu trouves le temps de rédiger votre aventure, avec tout le travail que tu as à bord. C'est un régal de te lire.
Avez-vous réfléchi à une éventuelle installation sur une de ces îles, pourquoi pas après tout ?
Pour le moment, vous avez un autre projet en tête, rejoindre l'Hermione.
A quelle date à peu près, pensez-vous la rejoindre.
Plein de gros bisous à vous deux et bonne navigation à vous 3.
Liliane