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mercredi 26 août 2015

RÉFLEXIONS TRANSATLANTIQUES


Dimanche 9 août, le dernier dimanche en mer avant notre arrivée aux Açores. La boucle se referme progressivement. L’équipage dort et récupère de son quart nocturne. Le vent se fait attendre pour la deuxième journée consécutive, une petite houle balance Philéas, le soleil assèche l’humidité de la nuit. Le silence propice à la réflexion n’est rompu que par le bruit du moteur.

Les moments forts des onze mois écoulés défilent dans ma mémoire. Cette traversée extra-ordinaire au premier sens du terme n’a rien d’un exploit, certes c’est une démarche hors du commun à la rencontre d’une infime partie du monde, de ses habitants. Au-delà des paysages inhabituels qui m’ont ravie, de belles rencontres resteront gravées dans ma mémoire des  moments d’échanges avec la flottille certes, mais plus enrichissants encore avec des hommes, des femmes et des enfants qui ont pris le temps de dialoguer et de me livrer quelques bribes de leur culture. Attachants sont ces enfants haïtiens qui au détour d’une promenade viennent glisser leurs petites mains dans les miennes, attentionnés et serviables ces cubains souvent dénués de l’essentiel qui, me voyant désorientée, me proposent leur aide. Les peuples démunis, non encore aliénés par le tourisme de masse ont une grande richesse : ils affichent un optimisme incroyable et une joie de vivre. Contraste entre deux mondes, pays en voie de développement et pays développés. Les derniers, éternels insatisfaits ne prennent plus le temps de vivre, de regarder, d’écouter, trop concentrés sur leurs petits profits, enfermés par leur égoïsme, peuples autistes mais sûrs de leur supériorité.

Regard vers l'Ouest

Belle surprise aux Etats-Unis aussi, j’y ai découvert une population souvent prête à s’émerveiller, enthousiaste et réceptive,  de grands enfants… It’s amazing(1) !  Mais peut-être la présence de l’Hermione, symbole fort de liberté et d’amitié entre la France et les Etats-Unis n’a-t-elle faussé mon jugement et influencé leur comportement.

Au Canada la rudesse du climat semble avoir préservé la solidarité. Une preuve que le froid conserve… Qu’il est agréable de croiser sur une route, bien loin des embouteillages estivaux de nos contrées, des automobilistes klaxonnant pour… nous saluer tout simplement à grands renforts de signes de la main. Je suis  plus coutumière des klaxons du style « Poussez-vous de mon chemin, j’arrive ! »

Un petit mot encore sur l’hospitalité de nos concitoyens de St Pierre et Miquelon. Ce petit bout de terre française, isolée nous a réservé un accueil chaleureux et convivial. Sincérité et simplicité sont les mots qui me viennent à l’esprit pour qualifier nos contacts avec nos frères d'Amérique du Nord. Imaginez-vous une rencontre en fin de soirée à la sortie d’un restaurant, l’échange de quelques paroles avec des inconnus. Rien d’extraordinaire jusque-là, ce qui l’est davantage est la livraison le lendemain matin à bord de Philéas, par le directeur du port, de deux excellents pains aux olives tout chauds faits par Dominique, mon interlocutrice de la veille. 

Avec nostalgie mais enrichie par ces relations humaines empreinte de simplicité, je laisse l’ouest derrière moi avec regrets. L’Atlantique nord nous fait  un cadeau supplémentaire : des conditions météorologiques inespérées en  nous épargnant cyclones et dépressions.

De cette grande et belle aventure gravitant autour de la croisière historique de l’Hermione, certains, quel dommage, ne retiendront que les deux mois de commémorations, deux mois durant lesquels les acteurs principaux, d’ailleurs, n’ont pas toujours su porter haut et fort le symbole d’amitié et de fraternité attendu par la flottille. Les vedettes oublient parfois que sans le soutien de leurs fans, ils ne sont rien !

MédHermione c’est aussi les dix autres mois, et pas des moindres, certainement moins fastueux, moins empreints de symboles mais si intenses en termes de relations humaines. Des liens se sont tissés, des complicités sont nées. Bien sûr la mayonnaise n’a pas toujours pris au sein des équipages ou n’a pas tenu, mais quoi de plus normal, notre flottille est un melting-pot de caractères qui au final ont fait preuve d’intelligence et se sont adaptés les uns aux autres la plupart du temps.


Vers l'Est 


L’aventure n’est pas terminée et j’entends bien encore profiter pleinement du dernier mois avant mon retour à Toulon. L’aventure n’est pas terminée en effet, mais les traversées océaniques sont propices à la réflexion. Elles laissent libre cours au vagabondage de l’esprit, à l’expression de la vie intérieure, du moins pour qui ne craint ni silence, ni solitude !



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(1)     Leur expression usuelle

dimanche 16 août 2015

ST PIERRE ET MIQUELON, TERRE FRANÇAISE EN AMÉRIQUE DU NORD



Oh combien de marins, combien de capitaines, combien de pêcheurs se sont perdus du côté de St Pierre et Miquelon ! Seules des conditions météorologiques vraiment défavorables auraient pu briser notre détermination à visiter ce petit coin de France bien souvent oublié.  De notre flottille MédHermione ne subsistent que six  voiliers, six équipages chaudement vêtus pour affronter brume, humidité et fraîcheur de l’été de ces îles exotiques françaises mais six équipages têtus et curieux n’ayant pas froid aux yeux…

Arrivée à St Pierre
En cadeau de bienvenue St Pierre fait grâce à ses hôtes de la brume fréquente à cette époque de l’année. Si la chaleur n’est pas au rendez-vous l’archipel lève son voile et livre sa silhouette sans pudeur. Les maisons multicolores plantées le long de la berge attirent notre regard. Vue de la mer Saint Pierre correspond à l’image que nous nous en faisions. Couleurs chaudes pour contrecarrer la tristesse du brouillard persistant. Touchées de plein fouet par le réchauffement climatique, les températures estivales n’auraient, de mémoire  de Saint-Pierrais, jamais été aussi basses depuis 2006 pour les uns, depuis 2002 pour les autres !!!! Mais qu’importe, la chaleur de l’accueil de cette terre de France en Amérique du Nord compense très largement la dizaine de degrés « évaporés ». Enrique, commandant du port, Manu, responsable de l’école de voile et Danièle son assistante tous s’évertuent à rendre notre séjour agréable et confortable.

Philéas accosté à l'école de voile
Sur l’unique quai en bois de l’école de voile municipale, nos voiliers arborant les couleurs nationales et le guidon MédHermione attisent la curiosité des Saint-Pierrais et de la presse locale. Pendant  une semaine nous faisons la une de la chaîne locale de télévision « SPM 1ère »(1) et de la radio. Les interviews et reportages se succèdent, à bord de nos voiliers ou encore à l’office du tourisme.  Dans les rues, les célébrités éphémères sont abordées par les auditeurs et téléspectateurs intrigués par cette poignée de « Mailloux »(2) peu ordinaires.
Radio SPM 1ère à bord
Les Saint-Pierrais sont fiers de leur « caillou » comme ils disent et ne sont pas avares d’anecdotes de l’ère de la grande pêche et de conseils touristiques. Dans les musées l’accent est mis sur la rudesse des conditions de travail des pêcheurs de l’époque, les Grands Bancs de Terre Neuve étaient souvent impitoyables. Le cimetière de St Pierre témoigne du nombre de vies perdues en mer, des corps disparus à tout jamais. Des stèles sont érigées en souvenir de ces valeureux marins pleurés par leur famille et leurs amis. 
Miquelon
Aussi lors de la prohibition sur l’alcool aux Etats-Unis il n’est guère étonnant que bien peu d’habitants de l’archipel n’aient hésité à changer de métier pour devenir contrebandiers et ce, en toute légalité. Des grandes fortunes se sont faites… puis défaites. Du fait de son statut de colonie française, la loi américaine (le Volstead Act) n’était pas applicable sur l’ile. Elle connut de 1919 à 1933 une réelle prospérité grâce au trafic d’alcools, de vins français et de whisky acheminés clandestinement sur les côtes canadiennes et américaines par des goélettes ou des vedettes rapides construites au Canada et montées par des Saint-Pierrais. Ce fut l’époque des bootleggers. Dans les années 1970 on pouvait encore voir à St Pierre un hangar bardé de planches de caisses d’alcools, de champagnes français. Les marins de Terre Neuve recevaient les boissons alcoolisées en caisses. Ils les transféraient dans des sacs de jute et récupéraient le bois. En cas d’interception d’un bateau contrebandier par les garde-côtes américains, il suffisait de jeter les sacs par le bord opposé à celui vers lequel avançaient les forces de police. Les sacs coulaient instantanément. Lorsque l’équipage de contrôle embarquait il n’y avait plus trace de la fraude. La cargaison était perdue mas cela évitait aux contrevenants d’aller croupir en prison. Le risque d’être ainsi arraisonné faisait partie des frais d’expédition et justifiait le prix ahurissant que payaient les destinataires. Ceci expliquait aussi la prolifération de boissons contrefaites, peut-être moins chères que celles provenant vraiment d’Europe.

Miquelon et Langlade, les sœurs jumelles de l’archipel, reliées par un cordon ombilical de 12 kilomètres, un isthme de sable, nous font un appel du pied. Au fil des siècles plus de 600 navires se sont échoués entre les deux îles. Il est dit, qu’ils ont, peut-être, contribué à la formation de cette bande de sable.
En route vers le Grand Barachois
Les plus courageux font fi du mauvais temps et embarquent à bord du Cabestan(3) pour fouler une parcelle de ces 200 km2 prometteuse d’un environnement naturel riche et paisible. Il faut dire que nous n’avions guère le choix compte tenu de la fréquence des liaisons maritimes vers Miquelon. Les opportunités d’un séjour dans cette contrée ne se présentent pas tous les jours, alors au diable les considérations météorologiques !  
Le Bar à choix
A défaut de véhicule disponible, trois téméraires : Patrice, Alain et moi affrontons  à bicyclette pluie, froid et vent de bout pour rejoindre le Grand Barachois, site privilégié pour l’observation des phoques et oiseaux migrateurs. Rendez-vous manqué, aucun phoque ne montre le bout de ses moustaches ! Trempés jusqu’aux os, nous rebroussons chemin pour aller déguster, au Bar à choix, snack-bar de l’île ouvert de 11h00 à 14h00, une délicieuse omelette aux saints Jacques ou plutôt des Saints Jacques à l’omelette  avec nos camarades moins intrépides.

Et l’Hermione dans tout cela ? Philéas le premier arrivé à St Pierre, la manque de plusieurs encablures. L’équipage aperçoit avec regret sa silhouette voilée dans tous les sens du terme prendre le large. Dommage, les Saint-Pierrais l’ont accueillie comme une reine pendant deux jours de festivités mémorables. Ce petit bout de France a le sens de l’hospitalité. La belle frégate emporte avec elle un souvenir bien vivant de sa première escale en terre française outre-Atlantique, la dernière de sa croisière en Amérique : un chaton baptisé « Maillou » adopté par Anne la voilière. La jeune mascotte de l’Hermione lui a été confiée par Danièle de l’école de voile, une passionnée de chats et de chiens.
L'Hermione quitte St Pierre
La venue de l’Hermione n’est que le prélude à une série de manifestations qui se dérouleront à St Pierre et Miquelon, dès mars 2016, pour commémorer le 200ème anniversaire du rattachement définitif de ce petit bout de terre à la France.

Nous laissons derrière nous ce bel l’archipel immortalisé en 1791, déjà, par Chateaubriand dans « Mémoires d’outre-tombe », archipel décrit avec verve par le géographe Henri Baulig : « Malgré tout, avec ses 4 000 habitants sédentaires, avec ses maisons de bois aux vives couleurs, aux fenêtres basses éclairées par le sourire des fleurs, avec ses jardins amoureusement soignés, ses rues inégales où s’entendent, dans le claquement des sabots, les parlers de Normandie et de Bretagne, mêlés à l’accent pus vif du pays basque, Saint-Pierre est bien un morceau de la vieille France fixé aux rives américaines.».

Si l’accent particulier demeure, Saint-Pierre et Miquelon a changé certes, mais ne peut laisser indifférent.
Le cap est mis sur Florès, aux Açores, située à 1260(5) nautiques. Notre route passe par les redoutés Grands Bancs de Terre Neuve, AIS(6) et radar ne seront pas superflus pour naviguer dans de bonnes conditions de sécurité.

au sujet de SAINT PIERRE ET MIQUELON 

L’archipel est composé de deux îles principales : Saint-Pierre, la plus petite -26 km2-  qui abrite cependant 86% de la population et Miquelon constituée elle-même de deux presqu’iles –Grande Miquelon et Langlade- reliées entre elles par un isthme de sable depuis le XVIIIème siècle. 


D’autres petites îles et îlots non habités font également partie de l’archipel.
Situé à 47°N et 56° W dans le golfe du Saint-Laurent l’archipel ressort de l’Atlantique Nord au Sud de Terre Neuve, dans la zone où le courant froid du Labrador croise le courant océanique chaud du Gulf Stream. 

Comme la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Clipperton, l’archipel est un des sept territoires français en Amérique et le seul en Amérique du Nord, dernier vestige de la Nouvelle France, perdue lors de la Guerre de Sept Ans.  Situé à 25 km au sud de l’île canadienne de Terre Neuve, et à 4300 km de Paris cet ancien département d’outre-mer, puis collectivité territoriale à statut particulier, est aujourd’hui une collectivité d’outre-mer.


L’arrivée du navigateur portugais João Alvares Faguendes le 21 octobre 1520 est souvent citée comme date de découverte de l’île mais la découverte pourrait être bien antérieure, elle est d’ailleurs attribuée à d’autres explorateurs comme Jean Cabot en 1497 ou Verrazano en 1524. Quoi qu’il en soit les îles servaient de base aux pêcheurs normands, bretons et basques au XVème siècle et l’on date à 1604 les premières installations permanentes de ces derniers. Ils y pratiquaient la chasse baleinière, certainement la baleine franche (dite baleine des Basques), la baleine du Groenland et la baleine grise. 
Au XVIIIème, les îles furent toutefois abandonnées lors de la ratification du traité d’Utrecht de 1713 qui octroyait à la France un droit exclusif de pêche sur le littoral de Terre-Neuve. Les îles de St Pierre et de Miquelon furent ensuite récupérées officiellement par la France  lors du traité de Paris en 1763. Après une  défaite infligée par les troupes américaines et françaises, les forces britanniques présentes en Nouvelle Ecosse attaquèrent les îles en 1778 et déportèrent la population, y compris les réfugiés de la déportation des Acadiens de 1755. L’archipel est cependant à nouveau rendu à la France lors du traité de Versailles en 1783.  
Lors de la Révolution française, la communauté acadienne quitta subitement l’île de Miquelon pour se réfugier aux îles de la Madeleine, alors que l’exercice républicain à Saint-Pierre connut un terme brutal lors de la nouvelle attaque britannique de 1793. Il fallut attendre la Restauration de Louis XVIII pour que la dernière rétrocession par le Royaume Uni (dont la Nouvelle Ecosse était encore une colonie) des îles Saint-Pierre et Miquelon à la France soit définitive, le 22 juin 1816.

Et  encore

Traditionnellement Saint-Pierre et Miquelon représentait un intérêt économique important en raison des droits de pêche attachés à la zone économique exclusive de 200 miles marins. L’interprétation divergente de la France et du Canada sur l’application de cette règle internationale donna lieu à partir de 1988, année de l’arraisonnement du chalutier Croix de Lorraine par les Canadiens, à un contentieux entre la France et le Canada.

A la suite de l’arbitrage international sans appel de New York en 1992, la zone maritime attribuée depuis lors à l’archipel se limite à la zone économique exclusive de 12 nautiques à l’est, 24 nautiques à l’ouest, et un corridor de 200 nautiques de long par 10 de large, orienté nord/sud.

Trajet de Philéas entre Toulon et St Pierre et Miquelon



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(1)     SPM 1ère : St Pierre et Miquelon 1ère appartient au groupe RFO
(2)     Mailloux : Français ou résidants non originaires de St Pierre et Miquelon.
(3)     Cabestan : Ferry qui assure la liaison entre St Pierre et Miquelon.
(4)     A Annapolis, une pièce d’identité nous a été demandée lors de la commande d’une bière, peut-être avions nous l’air d’adolescents, les voyages forment la jeunesse comme chacun le sait…
(5)     1260 nautiques : 2 333ilomètres
(6)     AIS : système  d’identification automatique qui permet de connaître l’identité, le statut et la position des navires aux alentours, mais qui permet surtout de prévenir d’un risque de collision.