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mardi 20 décembre 2011

6 - Du Cap Vert aux Antilles


Vendredi 25 novembre, 15 heures, après une escale au Cap Vert fort appréciée, nous larguons les amarres pour la plus grande traversée de notre rallye, la traversée de l’océan Atlantique. 2100 miles nautiques (3890 km) nous séparent des Antilles que nous entendons parcourir en plus ou moins dix sept jours si les alizés le veulent bien…

Nous gardons jusqu’à la nuit le contact radio avec les deux autres voiliers medatlantistes, Deo Gratias et Babur Amor, partis une heure avant nous de la marina de Mindelo. Pendant quelques heures San Antao avec ses sommets à plus de 2000 mètres d’altitude retient le vent jalousement. Notre vitesse tombe.

Samedi 26 novembre - Spi hissé nous filons 6 noeuds sous 10 noeuds de vent. Plus de trace de Deo Gracias que nous avons doublé dans la nuit, ni de Babur Amor. La portée de nos VHF étant limitée à moins de 10 miles nautiques. Dix heures, plusieurs bancs d’exocets m’offrent un ballet matinal. JP et Christian récupèrent de leur quart nocturne. Dommage je ne peux partager ce spectacle avec eux.

27 novembre au matin - Un exocet est venu s’échouer dans le cockpit durant la nuit. Comme chaque matin, j’observe les oiseaux de mer volant en rase-mottes au dessus de l’océan en quête de leur « plat du jour ».

30 novembre, 5ème jour de navigation – Nous avons parcouru un tiers de la distance nous séparant des Antilles. Les journées s’enchaînent et se déroulent paisiblement. Chacun a pris ses petites habitudes. JP est le préposé à la pêche. Nos stocks en produits frais s’amenuisent et le poisson est toujours le bienvenu. Aujourd’hui la prise aurait pu être de taille mais le rebelle en a décidé autrement. Il a sectionné le bas de ligne, pourtant en acier, et gardé le rapala !
Midi, l’heure de la méridienne – Christian se cale au mieux pour la visée avec le sextant. Par mer bien formée, poser le soleil sur l’horizon n’est pas un exercice aisé.

Cuisiner est tout aussi acrobatique. Généralement je m’installe dans le cockpit pour éplucher, couper et laver les légumes. En revanche la partie cuisson relève bien souvent d’un véritable tour de force. Les casseroles verrouillées sur la gazinière à balancier tanguent au gré de la houle. Je me cale tant bien que mal, buste en avant et jambes écartées pour un meilleur appui, entre le plan de travail et la plaque de cuisson. Rien ne doit être posé au hasard. Un coup de roulis et aliments et ustensiles s’essaient au saut en hauteur au milieu du carré ! Tout doit être sécurisé sur un tapis antidérapant ou mieux dans l’évier. Il n’est pas rare que la mer taquine me contraigne à quelques pas de danse inopinés à la Mickaël Jackson. Je me retrouve alors stoppée dans mon élan par la table à cartes, ustensiles et aliments en mains… J’enrage mais à quoi bon, je n’aurais pas le dernier mot…

3 décembre – Dans la nuit et ce matin des marsouins sont venus nous saluer en effectuant un ballet aquatique autour de Philéas. Les marsouins sont reconnaissables à leur silhouette trapue et à leur tête sans rostre marqué. Leur dos est gris et leur ventre blanc, détails plus faciles à distinguer de jour !

4 décembre après midi – L’attention de JP est attirée par des geysers à répétitions. « Baleine à tribord ! » Nous le rejoignons sur le pont pour satisfaire notre curiosité. La rencontre avec des animaux marins est toujours un divertissement dont nous ne nous lassons pas. La baleine en question est en fait un cachalot. Philéas le rattrape mais reste à distance raisonnable. Prudence ! Il ressemble à un tronc d’arbre flottant. Ce grand odontocète est immobile à la surface de l’eau. Dort-il ? Si JP n’avait pas été alerté par son souffle, nous aurions pu passer à côté sans le voir. Nous n’osons imaginer la réaction du cachalot si nous l’avions percuté pendant son sommeil…

5 décembre – Nous sommes gâtés. Cette fois-ci ce sont des dauphins qui nous rendent une petite visite de courtoisie. Ils ne s’attardent pas aujourd’hui, quelques passages sous Philéas et ils poursuivent leur route.

5 au 6 décembre – Panne d’alizés. Nous avons parcouru les deux tiers de notre route avec les alizés en poupe, passant d’une mer agitée à forte certes, ne ménageant point notre sens de l’équilibre mais nous avancions. Dans la nuit changement de programme, le vent tourne, des grains s’enchainent à partir de minuit. Nous passons du portant au près puis en début d’après midi le vent mollit peu à peu. Fin de notre vitesse de croisière. Le mouvement de grève des alizés annoncés par les fichiers GRIB se confirme. Aucune négociation avec Eole possible ! Une seule certitude, il nous reste à parcourir plus 400 miles nautiques (740 km).

Mais où sont passés les alizés

Mercredi 7 décembre – le syndicat des fichiers GRIB annonce une prolongation de la grève des alizés jusqu’à dimanche au moins. Cinq jours supplémentaires…..!!!! Notre comité d’accueil à Fort de France va devoir nous attendre ! Notre progression, à la voile malgré tout, s’en trouve ralentie : entre 4 et 5 miles nautiques par heure au lieu des 6-7 habituels. Nous gardons la ressource « propulsion moteur » pour la configuration « pétole totale ». Les grandes vacances des alizés 400 miles nautiques trop tôt donnent à la dernière ligne droite de notre rallye MedAtlan un air de navigation estivale en Méditerranée.

Vendredi 9 décembre – Les alizés se font toujours désirer. Nous faisons contre mauvaise fortune bon coeur. Wait and see ! La position des autres voiliers reçue ce matin nous réserve une agréable surprise. P’tit Mousse est à quelques miles sur notre arrière bâbord. Contact VHF pris nous décidons de l’attendre et de faire route ensemble jusqu’en Martinique. Pour fêter nos retrouvailles nous naviguons à couple histoire d’échanger quelques paroles de marins et procédons à un ravitaillement à la mer, chocolat contre raisins secs, en attendant mieux.

Ravitaillement à la mer avec P'tit Mousse

Philéas lors du ravitaillement

Samedi 10 décembre – Nous touchons un peu de vent. C’est bon pour le moral. P’tit mousse plus lourd et moins toilé a du mal à suivre. Nous réduisons notre voilure pour arriver ensemble au marin dans…50 nautiques.

Ziiiiiiiiip…. Notre ligne s’affole, nous avons un seulement une touche mais un poisson de bonne taille. Déjeuner assuré ! La superbe daurade coryphène est presque dans notre épuisette, nous salivons déjà à l’idée de partager notre prise avec P’tit Mousse mais….. zut, elle se décroche 2 secondes avant que je ne puisse la remonter à bord.
Fin d’après midi, le vent mollit encore. P’tit Mousse, inquiet, surveille de près sa jauge de gazole déjà dans le rouge depuis quelques heures. Nous lui proposons de lui passer une remorque jusqu’à l’arrivée. A 18 heures, Philéas prend une allure de « cano’t » de la SNSM (société nationale de sauvetage en mer) au secours de P’tit Mousse. Sous la direction de Christian, notre skipper, ex-maître de manoeuvre la remorque presque aux normes Marine Nationale est parée : pattes d’oie, 60 mètres de remorque, une pantoire en chaîne maillée par une grosse manille à une élingue. Philéas se présente à l’avant de P’tit Mousse pour lui envoyer son lance-amarre. C’est parti pour 22 nautiques ! L’attelage file une vitesse variant une vitesse variant entre 3,5 noeuds sous courant favorable et 2 noeuds à contre courant en direction du mouillage de Sainte Anne, pointe sud de la Martinique.
Remorquage de P'tit Mousse
Philéas remorquant P'tit Mousse
Nuit du 10 au 11 décembre – Séquence émotion

5 siècles après Christophe Colomb, 59 jours depuis notre départ de Toulon, 4735 miles nautiques (8770 km) parcourus, la terre convoitée par les medatlantistes se dévoile devant nous. L’île de la Martinique nous attend, nous accueille. Nous nous délectons de ce moment magique. A ce moment précis nous oublions toutes les affres de la navigation, toutes les périodes difficiles que nous avons vécues depuis notre départ.

A 4 heures et quart, au clair de lune, nous mouillons la pioche après avoir largué la remorque de P’tit Mousse et attendons le petit jour pour rejoindre une partie de la flotte Medatlan à la marina du Marin.

Mardi 13 décembre - Nous faisons route vers la grande anse d’Arlet, point de rassemblement Medatlan. L’approche côté terre de la grande anse d’Arlet et ses villages de pêcheurs ne nous est pas inconnue. Nous n’imaginions pas à l’époque que deux ans plus tard nous jetterions l’ancre côté mer !


superbe arc en ciel grande anse d'Arlet
Mercredi 14 décembre - Journée de farniente.

Qu’il est doux de ne rien faire ! Début d’après midi des averses, violentes, comme bien souvent sous les tropiques, rafraichissent l’atmosphère et rincent abondamment les voiliers. Un superbe arc en ciel sous fond de végétation d’un vert soutenu se dessine sur le rivage. Puis, peu à peu des torrents d’eau boueuse dévalent la colline pour se jeter dans la mer. Le vert feuillage, les couleurs arc en ciel, le brun du torrent et le bleu de la mer offrent un tableau saisissant. Bientôt la mer perd sa couleur de carte postale. Plus question d’aller se baigner jusqu’à la prochaine marée !

En soirée, la petite escadre Medatlan se dirige vers la petite anse d’Arlet pour écouter les traditionnels « Chanté Noël ». Les chants de Noël » arrangés à la mode antillaise prennent ici des couleurs et surtout du rythme. Les Martiniquais se rendent au « dîner-concert » dans des restaurants de plein air. Au programme des chants de Noël accompagnés par une musique très rythmée. Etonnant mélange de chants religieux et de musique des îles aux rythmes endiablés. Au « chanté noël » la musique et la danse sont à l’honneur.

La Martinique et la Guadeloupe ont gardé une tradition dont l’origine remonte au Moyen Age, qui regroupe voisins, amis, parents, enfants et qui s’est perpétuée au cours des siècles : le « chanté Nwel ». Autrefois dans les cases les plus humbles, comme dans les plus belles maisons on se réunissait dès le coucher du soleil autour d’une table éclairée par une lampe à pétrole, un « lampion », une bougie ou sous la lumière crue d’une lampe électrique pour chanter en choeur ces cantiques. Aujourd’hui de nombreux groupes se sont créés pour chanter « Nwel » et la foule est nombreuse à venir les écouter mais aussi reprendre en choeur ces chants mélodieux. Ceux-ci étaient consignés et ils le sont encore, dans un petit recueil écorné, jauni par le temps que chacun se devait de posséder et de conserver précieusement. Il se transmettait parfois de génération en génération et ressortait des tiroirs dès les premiers jours de décembre. Mélange de profane et de sacré, ces cantiques, anciennes chansons populaires médiévales françaises de Noël dont on retrouve les traces dans des recueils du XVIIIème siècle, seraient plus précisément originaires des régions de Lyon et d’Avignon. Les textes sont en langue française avec parfois quelques passages en latin. Cependant, chaque cantique a son refrain en créole et ils ont pris des rythmes de biguine, de mazurka ou de valses créoles accompagnés des Ti-Bois, tambours et claquements des mains. De plus la société antillaise les a modelés à sa façon par des improvisations aux mots souvent très audacieux (à faire pâlir la Sainte Vierge…) qui s’interposent entre les refrains. On retrouve toujours les mêmes cantiques dont les principaux et les plus connus sont « Joseph mon cher fidèle », « Dans le calme de la nuit », « Allez mon voisin », « Il est né le divin enfant » et bien d’autres encore.

De la tradition ancestrale comme le Chanté Nwel aux traditions culinaires il n'y a qu'un pas.
Autrefois, lors des ces « chanté Nwel», on servait en dehors du traditionnel punch, du sirop d’orgeat aux dames, ainsi que du chocolat à l’eau épaissi au toloman pour se réchauffer du « froid piquant » des nuits de décembre…

Noël démarre donc bien avant le 25 décembre et dès la fin du mois de novembre, on prépare le « schrubb » avec des écorces d’oranges que l’on fait macérer dans du rhum au soleil. Celui-ci ainsi que les diverses liqueurs de cacao, de coco, n’étaient servis qu’à partir du jour de Noël.

La table est bien évidemment à l’honneur en ce jour de Fête Noël, les cuisinières préparent donc les recettes traditionnelles avec le cochon, le boudin créole, la viande pour les petits pâtés et le ragout bien épicé, sans oublier le traditionnel jambon caramélisé aussi appelé « jambon de Noël », un vrai régal.

Jeudi 15 décembre – Mouillage baie des Flamands

Un peu avant 08 heures, la flotte Medatlan appareille pour Fort de France. Les voiliers mouillent sous le Fort St Louis, fort du XVIIème siècle de type Vauban abritant la base navale où nous devons nous réunir pour un debriefing du rallye aller et évoquer les grandes lignes du rallye retour.

Réunion des médatlantistes au Fort St Louis

La flotte Medatlan baie des Flamands
A 18h30 nous sommes chaleureusement accueillis par le président du Yacht Club de Martinique. 

Un cocktail dinatoire est organisé en notre honneur avec une petite surprise fort agréable : une démonstration de danse antillaise. Biguine, Zouk, pensez-vous ? Point du tout. L’association Tradition Peyinois créée en 1992 nous présente le quadrille martiniquais. Étonnant métissage ! Une pincée de quadrille européen et une pincée de mélodies et de rythmes africains et la « haute-taille » ou « taille-haute », nom du quadrille des îles est né.

Quadrille martiniquais









La quadrille est une danse d’importation du 17ème siècle, d’origine européenne. Elle fut d’abord adoptée par les colons des milieux bourgeois puis par le milieu rural. Cette danse fut influencée par les 5 musiques qui existaient déjà dans les campagnes antillaises et pratiquées dans les caraïbes. Les différents mouvements sont dictés par un chanteur commandeur qui donne la cadence et le rythme. Les élégantes danseuses aux robes en madras et danseurs tout de blanc vêtu sont accompagnés par un orchestre où se côtoient accordéon, chacha (hochet) siyac (racleur) ou du tambour de basse (tambour sur cadre).
L’appellation martiniquaises de « haute-taille » ou « taille-haute » est sans doute liée au nom d’une coupe de robes très prisée par les dames pour aller au bal et qui leur faisait la taille haute, le nec plus ultra de l’époque.

Vendredi 16 décembre – Fin de Medatlan pour Jean-Pierre, notre équipier, qui s’envole vers Marseille des souvenirs plein la tête, des kilos en moins pense-t-il (mais le verdict de la balance à l’arrivée à Marseille sera tout autre. Il n’a finalement pas perdu un gramme pendant la traversée …). Jean-Pierre, notre marseillais, emporte avec lui sa bonne humeur, son entrain, et son accent chantant et laisse un vide cabine arrière.

Départ de Jean-Pierre
« Et maintenant qu’allons nous faire….. » ?

A nous le plan d’eau de l’Archipel des Caraïbes, le soleil, la mer, la biguine, cuisine antillaise, le rhum mais aussi les randonnées à l’intérieur de l’île (montagne pelée pour ne citée que celle-là) …. !

Entre la Floride et le Venezuela les îles des Caraïbes forment un arc de 2500 km. Cet archipel découvert par Christophe Colomb en 1492 sépare l’océan Atlantique de la mer des Caraïbes. Au nord se trouvent les Grandes Antilles. Au sud, les Petites Antilles comprennent du nord au sud les Iles Vierges (américaines et anglaises), Anguilla, St Martin en partie française et en partie néerlandaise, les Antilles néerlandaises, St Barthélémy (Fr*), Antigua et Barbuda, Montserrat, la Guadeloupe (Fr*), la Désirade (Fr*), les Saintes (Fr*), Marie Galante (Fr*), la Dominique ; la Martinique (Fr*), St Lucie, St Vincent et les Grenadines, La Barbade, Grenade, et Trinité et Tobago.

Les petites Antilles seront notre bassin de navigation pendant les 5 mois à venir. Mais 5 mois vont-ils être suffisants ?

La Martinique, département français depuis 1946, 80 km dans sa plus grande longueur et 39 km dans sa plus grande largeur, est située au centre de l’arc des Caraïbes. Les distances se révèlent toutefois trompeuses sur ces terres bosselées où le macadam tourbillonne comme une danseuse des îles entre deux haies de cannes à sucre ! Mais prendre son temps demeure une des premières vertus martiniquaises ! Parfait nous sommes en vacances….

Les Martiniquais sont 410 000, pratiquement tous métissés. Filles et fils de paysans bretons, marins espagnols, esclaves du Bénin marchands d’Asie ou fonctionnaires parisiens, ils ont aboli les frontières.

Le succès touristique de l’île repose sur deux atouts :

- la mer, d’abord. Omniprésente elle compose tous les paysages martiniquais. Plein sud, elle vient mourir en douceur sur les plages de sable blanc, révélant toute la magie de la mer des Caraïbes, cet immense bassin qui court depuis la Floride jusqu’au Venezuela. A l’opposé, cap au nord, et la voici qui se coiffe d’écume, se cogne aux falaises en vagues turbulentes, car ici ce sont l’Atlantique que nous avons traversé pour arriver à ce petit paradis et les vents du large qui lui donnent tout son caractère,

- le soleil, ensuite. Il est de toutes les saisons, même si, durant l’été, il partage le ciel avec ces grains qui redonnent couleur et vie à la nature des tropiques. Même si à l’automne en particulier, la station météo locale détecte parfois quelques cyclones qui, heureusement ne touchent pas tous terre mais dont les navigateurs que nous sommes doivent se méfier comme de la peste. Les Martiniquais le confessent volontiers : qu’on supprime « leur » soleil et c’est tout l’appétit qui s’en va, le bonheur qui bascule ! Heureusement rares sont les jours de l’année où il ne rayonne pas avec éclat.

Mais avant partir à la découverte de l’arc antillais, je me permets, en quelques lignes, d’être le porte-paroles de mes compagnons. Je ne pense pas mentir en affirmant qu’au terme de la partie Est-Ouest du Medatlan, la majorité des équipages, novice en matière de traversée de l’océan atlantique, est fière d’avoir su larguer les amarres pour relever le défi de cette traversée. Le rêve (d’adolescent pour certains) est devenu réalité.

Alain, skipper d’Embellie, excellent marin toujours serein, formé à l’école de la mer depuis des décennies fait figure d’exception avec 9 traversées à son actif.

L'école de la mer apprend l’humilité et révèle les véritables traits de caractère des équipiers. Il est difficile de dissimuler pendant 60 jours sa « vraie nature » dans un espace de vie restreint allant de 10 mètres à 14 mètres de long. La bonne entente n’est viable qu’au prix de concessions réciproques.

Expérience maritime et humaine ainsi fut Medatlan Est-Ouest et sera Medatlan Ouest-Est.  Quelle aventure !

Les Antilles en images
Le skipper

Le diamant
Philéas aux Antilles
Chez Malou  à Morne Rouge


NOTES

*Fr : Française



vendredi 25 novembre 2011

5 - Des Canaries au Cap Vert


Cap vers le Cap Vert

Lundi 14 novembre, 10 h 30, nous quittons la marina de Santa Cruz de La Palma après une semaine d’escale bien agréable. Philéas file au grand largue, génois tangonné sous un vent de nord force 5. Très vite le vent tombe, la mer nous impose une houle de 2 mètres comme pour manifester sa réprobation de l’avoir délaissée pendant 7 jours. Nous lofons pour garder un appui, la mer devient désordonnée. Il nous faut nous amariner à nouveau. Nous naviguons bien à l’ouest de El Hierro, île des Canaries où une activité volcanique est enregistrée depuis quelques jours. Le phénomène sismique est sous-marin, il est prudent d’éviter la zone.
Mardi un vent de nord-est, force 5 est de retour. La mer s’est aplanie. Les conditions sont propices à un poste de pêche. Première touche, Jean-Pierre ramène la ligne en fatiguant le poisson. Raté, il s’est décroché : score poisson 1, JP 0. Quelques heures plus tard, nouvelle alerte, tout le monde est dans le cockpit, JP le actionne le moulinet, Christian est prêt avec l’épuisette et moi la bouteille de rhum en main prête à « anesthésier » la superbe daurade coryphène appelée aussi « ma hi-mahi », en lui versant le précieux liquide dans les ouïes. Cette méthode est bien moins barbare, tout aussi efficace que la méthode consistant à assommer le malheureux poisson et certainement indolore pour l’infortuné. La daurade coryphène, magnifique poisson pélagique des mers chaudes aux couleurs métalliques étincelantes à la caudale en faucille perd de son éclat lorsqu’elle meurt : sa belle robe disparait avec sa vie…Le carrosse redevient citrouille après le coup de grâce. 
Jean-Pierre et sa 1ère dorade coryphène
 Les journées et les nuits s’enchaînent au rythme des quarts. Les fichiers GRIB téléchargés tous les deux jours confirment maintenant l’installation des alizés. C’est un peu tôt en saison mais une aubaine pour nous. Philéas file au portant à une agréable vitesse moyenne oscillant entre 5 et 6 nœuds. De temps à autre des pointes à 8 nœuds sont enregistrées, l’accélérateur s’emballe !
20h00 début de mon quart, le vent mollit un peu comme chaque jour à cette heure, les effets du coucher du soleil, soleil qui a disparu depuis une bonne heure déjà. Aucune présence humaine visible depuis notre éloignement des îles canariennes. L’océan semble désert, pourtant une vie sous-marine intense et réelle existe bien sous mes pieds : les planctons fluorescents défilant à la proue de Philéas perceptibles uniquement dans l’obscurité sont un rituel des quarts nocturnes. Les dauphins sont venus tenir compagnie à JP hier pendant son quart de nuit. La lune n’est pas encore visible elle apparait finalement à 23h00. Peu importe le ciel étoilé me tient compagnie. Un ciel dans lequel aucune lumière artificielle ne vient troubler la beauté de ce spectacle. Les étoiles ne se dévoilent qu’avec autant de netteté et de beauté qu’en mer et dans le désert. Combien d’heures n’ai-je déjà passées à contempler le ciel dans le désert, à observer et à identifier les étoiles ! Sur l’eau je retrouve le même ravissement avec un bruit de fond agréable, la musique des voiles dans le vent, de la coque glissant sur l’océan, et la chanson particulière de Philéas accélérant sur l’impulsion des rafales de vent, mélodie troublée parfois par le bruit des voiles faséyant (j’aime moins, il faut reprendre le réglage !). Tiens entre l’horizon et le centre de la voûte céleste ORION dévoile son baudrier à triple diamant en direction du sud, encadré par Rigel la bleue, Bételgeuse la rouge et Bellatrix. Cette constellation qui domine le ciel nocturne durant les traversées d’Atlantique par alizés en saison hivernale est certainement l’une des plus somptueuses. Plus à droite un amas de sept étoiles visibles à l’œil nu en toutes saisons ; les pléiades.
La navigation se poursuit au portant avec une mer toujours agitée. La ligne mise à l’eau reste muette. Pas de poisson au repas aujourd’hui. Pourtant des exocets (poissons volants) volent au dessus de la surface de l’eau pour échapper à leurs prédateurs. Le poisson est bien là mais boude notre appât. Nous ne sommes pas seuls d’ailleurs en chasse. Des puffins planent au ras de l’eau, becs en alerte, prêts pour un plongeon nourricier…
Dimanche 20 novembre 2011, à l’aube, les îles du Cap Vert se dessinent à l’horizon. 09h00 au terme de 820 nautiques, Philéas accoste à la marina de Mindelo, côté ouest de Sao Vicente. Nous avons ralenti notre allure pour arriver de jour, décision sage à en juger par les nombreuses épaves non signalées sur le plan d’eau que nous évitons avant de rejoindre la marina. Qu’il est bon de mettre le pied à terre, hors de notre shaker géant  après 6 jours d’important tangage incessant ! 

Arrivée à Sao Vicente
 Archipel du Cap Vert

Sao Vicente et Sao Antao
L’archipel du Cap Vert, situé à 325 miles de l’Afrique de l’Ouest est composé de 10 grandes îles et de 4 plus petites formant un fer à cheval ouvert à l’ouest. Sao Vicente est la seconde plus à l’ouest dans le sens des aiguilles d’une montre. L’île a été découverte le 22 janvier 1462, le jour de la Saint Vincent d’où son nom. Ces îles sont toutes d’origine volcanique et la plupart sont montagneuses avec plusieurs cratères classiques. Elles sont géologiquement indépendantes du continent africain. La majeure partie des 227 km2 de Sao Vicente est montagneuse. L’intégralité de l’île manque d’eau et de végétation et est d’un jaune sable. L’installation d’une usine de dessalement de l’eau de mer a partiellement résolu le problème. Presque toute la population vit à Mindelo avec 47 000 habitants et dans sa banlieue environnante. Ancienne colonie du Portugal, au carrefour des routes vers le Brésil, l’Afrique Guinéenne et celle du Sud, les îles du Cap Vert furent une position stratégique pour le commerce triangulaire entre ces 3 continents. Les grandes bâtisses et les étroites rues pavées des environs du front de mer datent de cette époque. On rencontre à l’occasion des trottoirs dans le style typique des vieilles villes portugaises des maisons coloniales aux façades bariolées.
Les habitants sont d’un naturel ouvert et curieux. Ayant toujours été en contact avec les étrangers, ils ont l’expérience et l’habitude des cultures occidentales dont ils ont subi de fortes influences : pratiques de sport comme le cricket, le tennis, consommation de wisky….Au plan artistique et littéraire, cette inspiration étrangère est omniprésente, surtout celle du Brésil. Le carnaval de Mindelo, le plus important de l’archipel, en est un exemple des plus flagrants. La langue usitée est un mélange du Portugais et de dialectes africains, le « criolo ».
Notre dynamique président de rallye au remarquable talent d’organisateur et à son étonnant réseau d’amis expatriés nous a concocté un séjour « aux petits oignons ». Eric et Marie Hélène ont fait de notre escale une douceur le premier jour, une gourmandise les jours suivants….Originaires de la Manche, ces « voileux », arrivés au Cap Vert il y a quelques années, ont décidé de faire une escale prolongée à Sao Vicente avant de changer de cap pour le Pacifique. Propriétaires terriens non loin de Mindelo, ils nous ont accueillis comme des frères. Notre dernière escale avant le grand saut fut intense : contacts humains, tourisme, et bien sûr gastronomie locale. Le marin sevré en période de navigation recherche les bonnes tables lorsqu’il est sur le plancher des vaches !

 Séquence tourisme sportif 
à la découverte de Sao Vicente et de ses volcans. Lundi 21 novembre, les chaussures bateau sont troquées contre les chaussures de marche pour une petite randonnée, fort agréable entre mer et volcans. Le marin a besoin d’exercices physiques sur un sol non mouvant….. Quel décor ! A gauche le bleu de l’océan en perpétuel mouvement contraste avec, à droite, la lave noirâtre, vestige d’une activité ancienne. Après quelques heures de marche une halte dans une piscine d’eau de mer protégée des courants est appréciée de tous pour la partie natation de la séquence. La dernière étape de notre triathlon est ensuite bouclée avec la dégustation du plat national : la cachupa. Ce plat est préparé avec du maïs, des haricots, des fèves, du manioc, des patates douces, du tarot. Notre cachupa est riche c'est-à-dire agrémenté de viande (porc, poulet et chorizo). Pour le dessert nous découvrons le queije, fromage de chèvre caillé avec de la présure naturelle préparée avec du lait et du sel que l’on fait sécher dans la panse d’un chevreau non sevré. Le queije se mange avec de la confiture de papaye.
Excursion à Praia Grande
Plus à l'aise sur l'eau que sur terre !
 Séquence gastronomie 
organisée par Eric et Marie Hèlène dans leur grande maison Cap Verdienne. Mardi 22 novembre nous sommes attendus pour un dîner qui va faire envie à mes amis lecteurs . Marie Hèlène nous a préparé de la mousse et du carpaccio de garoupa (poisson de la famille du mérou). Eric s’est occupé des langoustes. Chanter et danser étant essentiel pour les Capverdiens, un groupe de musiciens-chanteurs nous fait découvrir la musique de l’archipel : le fado Capverdien, l’influence portugaise est là omniprésente. Ici aucune fête ne se conçoit sans musique. L’orchestre qui se produit pour nous aujourd’hui est composé de maçons qui travaillent pour notre hôte. Nous passons un agréable moment tous ensemble. Ce repas restera gravé dans les mémoires pour longtemps. 
gastronomie locale
La cachupa
 Séquence paysages époustouflants
 
Mercredi 23 novembre Pascual, belge rencontré chez Eric et Marie Hélène nous a décrit Santo Antao, l’île sur laquelle il s’est installé, avec tant d’emphase que nous ne pouvons que nous y rendre. 07h15 branle-bas de combat sur les pontons seize marins avides de découvrir l’île fantastique se dirigent vers la gare maritime. Une heure après nous posons les pieds à Porto Novo. Des vendeurs de fruits et légumes, de queije, de confiture de papaye, de goyave nous proposent leurs produits. Offres tentantes mais nous verrons au retour. Un mini bus nous attend et Pascual nous guide. Très vite nous adhérons à l’enthousiasme de notre ami. Sao Antao est d’une incroyable beauté, avec des montagnes et des vallées profondes, le plus souvent verdoyantes. A certains moments j’ai l’impression de revoir les paysages grandioses du Lesotho. Le reboisement y a été important, facilité par un climat favorable et des pluies régulières. 
Vallée de Paul - Sao Antao
 Avec ses 779 km2 de superficie cette île du Cap Vert arrive en deuxième position par sa taille derrière Santiago. Ile très montagneuse avec trois pics qui culminent à plus de 1800 m, alignés du sud-est au nord-ouest, formant ainsi une chaine qui sépare l’île en deux versants. Sao Antao surprend par son contraste, mélange de végétation et de terres arides. Le nord, humide, est pourvu de plantations et de cultures, c’est la zone verte, alors que le sud reste très sec. Le centre est très frais car il se trouve sur les hauteurs. C’est l’île la plus arrosée de l’archipel et elle possède de nombreuses variétés d’espèces florales et végétales. 
Traite très artisanale !



L’activité est essentiellement rurale et les moindres parcelles arables sont exploitées. Les récoltes sont vendues à Mindelo. On y cultive particulièrement la canne à sucre, le maïs et la banane et l’île est parsemée d’arbres fruitiers tels que les papayers, les cocotiers et les manguiers.

Sao Antao
 De Porto Novo nous nous dirigeons vers le nord, de l’autre côté de l’île en empruntant une route pavée tortueuse construite à la main pierre par pierre à travers la montagne. On la surnomme « Estrada Corda », la route de la corde car elle traverse l’île telle une corde jetée dans la nature, passant dans la montagne à plus de 1 000 mètres d’altitude d’un bout à l’autre de Sao Antao. Pendant les dix premières minutes du trajet, on se demande vraiment s’il existe une végétation sur cette terre. Puis peu à peu apparaissent les premiers sapins, par dizaines, par centaines. C’est vraiment une merveille jusqu’à Ribeira Grande. Cette route qui chevauche les cimes des montagnes tournoie au-dessus des précipices avec des gouffres de plus de 1000 mètres de chaque côté. Nous sommes émerveillés par tant de beauté. De l’autre côté de l’île et de la chaîne de montagnes, les vallées luxuriantes se multiplient et se confondent dans une couleur verte de plus en plus présente. 
Salon de thé et cyber café en brousse....
 A chaque tournant, à chaque descente, des situations insolites invitent à pénétrer à l’intérieur de l’île. Une multitude de maisons de pierre accrochées aux flancs des montagnes défile tout le long de cette route surprenante. Par quel miracle tiennent-elles sur ces pentes et comment les paysans s’y sont-ils pris pour les construire ? Nous allons de ravissement en ravissement. A regret nous devons reprendre le ferry pour rejoindre Mindelo. Nous quittons Pascual non sans l’avoir chaleureusement remercié pour cette extraordinaire journée. Nous garderons avec nous des souvenirs indélébiles de Sao Antao dans nos mémoires de globe-trotters. 
Sur les chemins de Sao Antao
 Jeudi 24 novembre, il est grand temps de préparer le départ. Nous avons moult besognes à finaliser avant notre départ pour le grand saut vers les Antilles.
Vendredi 25 novembre, appareillage prévu pour 2100 nautiques d’une traite à couvrir sur un peu plus de deux semaines si les alizés nous sont fidèles. Notre escale initialement prévue à La Barbade reste incertaine. Nous avons prolongé un peu plus que prévu notre séjour au Cap Vert. Eole sera maître en la matière comme toujours !

Pêche au filet

Visages du Cap Vert





 

dimanche 13 novembre 2011

4.- De Cadix aux Canaries - Etape musclée

Dimanche 30 octobre 2011 au petit matin, la marée est haute, les aussières larguées, nous quittons El Puerto de Santa maria, cap au 272. Le chenal d’accès est calme, rien à voir avec les forts courants rencontrés lors de notre arrivée qui nous ont donné du fil à retordre !

Le vent est faible cette première journée de transit, Philéas se traîne. En soirée changement de programme, le vent forcit (force 6). Les jours suivants nous naviguons sous des vents instables qui nous contraignent à régler les voiles en permanence : tantôt nous envoyons, tantôt nous réduisons la superficie de la toile portante. Le coup de vent annoncé par les fichiers GRIB et par météo France nous rattrape, force 7 puis 8 sur l’échelle de Beaufort mais bien sûr soufflant dans la mauvaise direction par rapport à la route que nous devons suivre. Pas question de faire une route directe pour rejoindre les îles Canaries. Nous louvoyons, tirons des bords carrés. Cela n’en finit pas. L’accalmie prévue pour le jeudi n’est pas au rendez-vous. Le vent aurait dû adonner mais non, rien. Le vendredi, nouvelle dépression. La mer se déchaîne, se creuse davantage, des vagues de 4 à 5 mètres déferlent sur Philéas. La mer est désordonnée, la houle croisée nous ballote sans pitié. Les grains s’enchaînent pas moyen de les éviter. Philéas est soulevé par les déferlantes et tape violemment en redescendant au contact de l’eau. Le pilote automatique a décroché et capitulé depuis longtemps. Le régulateur d’allure a pris le relais et barre au mieux. La résistance opposée par la forte houle désordonnée a finalement raison du régulateur : bout sectionné par l’importante tension et poulie cassée. Le dernier recours est de barrer manuellement. Gouverner dans ces conditions est éprouvant. Très vite nous décidons de nous mettre à la cape. Nous réduisons au maximum la voilure : 3 ris dans la grand-voile et tourmentin hissé. Philéas dérive sans opposer de résistance, il fait le dos rond en attendant la fin du coup de vent. Nous continuons la veille, le danger étant une collision avec un cargo. Pas facile à repérer derrière cette houle ! Nous consultons les bulletins météo avec avidité. Les conditions ne s’arrangent toujours pas : vent force 8, mer très forte à grosse. Les déferlantes sont impressionnantes de par leur hauteur. Nous nous laissons dériver pendant 24 heures. Il est inutile de lutter. Le combat serait inégal. Mieux vaut faire le roseau plutôt que le chêne. Philéas n’est plus manœuvrant. La mer apprend l’humilité. On ne triche pas avec la mer, le marin le sait.

Samedi 5 novembre, le vent mollit un peu, vent force 6. La hauteur des vagues diminue mais reste significative. Nous nous remettons en route. Philéas présente sa hanche aux lames et file 7 à 8 noeuds en route directe cette fois, enfin !!!

Le bilan des dégâts n’est pas dramatique si nous considérons les « coups de tabac » que nous avons essuyés. Le régulateur d’allure est à réparer, la grand-voile déchirée a fait l’objet d‘une réparation de  fortune en mer, l’hydro générateur a pu être réparé en mer également mais le système de fixation est à revoir à quai.

Côté humain, tout va bien : pas d’excès alimentaire, nous arriverons sveltes ...mais peut-être pas élégants aux Canaries !!!! . Il est vrai qu’il est difficile de cuisiner dans un shaker, les casseroles dansent et les contenus ont tendance à s’échapper !!!! Il est d’ailleurs préférable d’opter pour un aliment solide plutôt que liquide. Boire est une action enfantine en temps normal. Cela devient très vite du sport lorsque la houle a décidé d’y « mettre son grain de sel » ! Avez vous déjà essayé de boire dans un bol ou dans un verre lorsque vous êtes sur la grande route à OK Coral ? Et bien cela est à peu près la même chose. Il faut repérer le bon moment : en haut de la vague le liquide monte et se renverse, en bas de la vague il s’échappe et s’éloigne de la bouche !!!! Il faut s’empresser d’aspirer le liquide lorsqu’il est à portée de bouche…

Les conditions météo, nous ont très vite dissuadés de faire escale à Madère, l’une des zones à éviter. L’escale envisagée à Ténériffe également avortée car nous avons quelques réparations à effectuer avant la grande traversée en direction des Antilles.


Samedi 5 novembre, 23h30, fin de mon quart. Depuis ce matin nous filons à bonne allure et la mer s’est assagie quelque peu. Le ciel n’est pas encore dégagé mais la lune et les étoiles sont visibles. Pourvu que cela dure !


La journée du dimanche est une journée agréable. Nous avons toujours de la houle mais elle s’est nettement atténuée et nous glissons à bonne allure sur l’eau en direction de La PALMA, île la plus au nord-ouest des Canaries. Si le vent ne faiblit pas nous devrions l’atteindre lundi en fin de matinée.


Lundi 7 novembre, Philéas tout guilleret accoste à Santa Cruz de La Palma après 1750 nautiques parcourus depuis notre appareillage de Toulon. L’équipage va profiter d’une escale de quelques jours bien méritée avant la grande traversée de 2700 nautiques qui nous conduira aux Antilles.


A la Salinas de Fuentecalente
La Palma est entourée par les îles de La Gomera et Ténérife à une soixantaine de kilomètres au sud-est ainsi qu'El Hierro au sud. Administrativement, l'île fait partie de la province de Santa Cruz de Ténérife dans la communauté autonome des îles Canaries.
De forme triangulaire pointant vers le sud, l'île est montagneuse et composée de trois volcans : au nord la caldeira de Taburiente qui forme un cirque de neuf kilomètres de diamètre ouvert vers le sud-ouest, au sud le Cumbre Vieja, une crête allongée couverte de cônes volcaniques, et entre les deux le Cumbre Nueva. Le point culminant de l'île est le Roque de los Muchachos, un sommet de la caldeira de Taburiente culminant à 2 426 mètres d'altitude. Ses reliefs escarpés et la pluviométrie ont permis la formation et le maintien d'une forêt faisant de La Palma, l'île la plus boisée des îles Canaries. L'île jouit d'un climat doux avec des températures moyennes de 15 °C en hiver et de 28 °C en été. La pluviométrie est concentrée à l'automne et en hiver. Mais par chance le soleil est présent pendant une grande partie la durée de notre séjour (sauf la journée de notre excursion autour de l’île… !)
Le navigateur découvre La Palma avec fascination. Le regard a du mal à se dégager de cette île dont les montagnes retiennent les nuages qui semblent être dessinés à mi-hauteur des crêtes. Quelle belle récompense que ce spectacle envoûtant après une navigation difficile ! Promesse d’une escale agréable !

Arrivée à la Palma

La promesse est tenue. L’accueil à la marina et en ville est chaleureux et convivial. La ville de caractère témoigne d’un passé florissant. Au XVIème siècle, Santa Cruz fut le 3ème port de l’empire espagnol après Séville et Ambères. Ce passé tout en splendeurs a laissé dans la vieille ville un héritage important de palais, de bâtiments de type colonial et de maisons à l’architecture traditionnelle canarienne, comme par exemple les balcons en bois. Tout séduit le promeneur qui se ballade le nez en l’air pour observer les façades. Les rues, piétonnes sont pavées avec des pierres volcaniques. Ne cherchez pas de grands magasins ou centres commerciaux, seules des petites boutiques et petites échoppes fleurissent à Santa Cruz mais il est possible de trouver de tout. Le marché couvert, ouvert jusqu’à 14h propose fruits (bananes du pays, papayes, mangues…), légumes, viandes et poissons en partie surgelés. Il me rappelle le marché de Papeete mais en miniature.

La Plaza de Espana concentre à elle seule plusieurs des édifices les plus importants de l’île. On y trouve la mairie construite au XVIe siècle pendant le règne de Felipe II. La façade est dominée par une image en relief du monarque et par les armoiries de la dynastie autrichienne.


Santa Cruz de  La Palma

SANTA CRUZ DE LA PALMA

 
La Palma est également une réserve de la biosphère. Elle est décrite comme l’île verte ou l’île Bonita où se diffuse une multitude de couleurs sous l’un des meilleurs ciels de la planète pour l’observation astronomique. On y trouve les observatoires d’astrophysiques les plus importants de l’hémisphère nord. Le randonneur est impressionné par les ravins profonds, par les volcans et leurs étranges paysages de lave. Il peut se pencher sur l’un des plus grands cratères du monde classé parc national où poussent sur les flancs de ses pentes vertigineuses de splendides exemplaires de pins canariens, une espèce végétale présente seulement aux îles Canaries. La Palma est considérée comme une des îles les plus belles des Canaries. C’est une destination où j’aurais plaisir à revenir mais en y consacrant beaucoup plus de temps.
Notre escale touche à sa fin. Elle fut riche en découvertes et en manifestations. La Palma fut une étape de regroupement où les 10 voiliers participant au rallye se retrouvèrent pour d’agréables moments conviviaux.


Côté touristique, l’incontournable tour de l’île nous a permis une approche terrestre de LA PALMA. Notre guide nous a fait découvrir la diversité de la végétation de l’île : au nord une végétation luxuriante et au sud l’empreinte des volcans avec des paysages désolés. Les volcans ne sont plus actifs sur cette île depuis 1971 mais les coulées de lave laissent des traces durables. En revanche à El Hierro, île voisine des Canaries, une activité volcanique est enregistrée depuis quelques jours. Plus au sud, rapide petit arrêt aux marais salins avant de poursuivre notre route pour une visite d’une bodega (cave vinicole) puis au musée du tabac.

Christian à la Bodega

Feuilles de tabac séchées
Côté culturel, nous avons le plaisir d’assister à une soirée «vin rouge, châtaignes», l’équivalent de notre traditionnelle soirée beaujolais nouveau, animée par un orchestre local dont le répertoire semble emprunté aux musiques cubaines : La réplique de Bueno Vista !

La fin de l’escale approche, il faut penser à l’avitaillement, notamment en produits frais. Rendez- vous est pris avec notre sympathique guide qui nous a proposé de nous emmener au marché paysan de MAZO, commune située dans les hauteurs à une dizaine de kilomètres de Santa Cruz. Ce marché a lieu tous les samedis et dimanches. Tous les produits sont issus de la production locale et les prix sont réglementés par la commune. Nous faisons le plein de mangues, ananas, bananes, et fruits dont j’ai oublié le nom et qui ne sont cultivés qu’à La PALMA. Les légumes y sont également abondants et de très bonne qualité. Autant dire que de retour à bord, mes deux co-équipiers m’accueillent avec des yeux écarquillés et pétillants de plaisir et bien sûr avec le sourire.

Approvisionnement local
Lundi matin, PHILEAS s’impatiente, il est temps de partir vers d’autres horizons. Cap est mis au 206° direction le Cap Vert, plus exactement vers Mindelo sur l’île de Sao Vicente, que nous atteindrons dans une bonne semaine si les vents sont généreux (mais pas trop tout de même… !) après avoir parcouru 700 miles.


dimanche 30 octobre 2011

3. De Gibraltar à Cadix

Mercredi 26 octobre, 4 heures du matin, branle-bas. 4 heures et quart les aussières sont larguées. Philéas quitte «océan village », la marina de Gibraltar en direction de Tarifa et louvoie entre les cargos, tankers, méthaniers et autres géants des mers au mouillage au large de Gibraltar. Ces énormes navires, même immobiles, restent impressionnants de par leurs silhouettes massives. La veille est attentive. Deux éclats lumineux scintillent dans le 30° ; une bouée cardinale indiquant soit un haut fond, soit une épave, attire mon attention. Peu à peu le courant se fait ressentir. En surface le loch indique 5 nœuds alors que la vitesse de fonds atteint péniblement les 1,5 nœuds. La circulation de l’eau en surface à travers le détroit de Gibraltar est le résultat d’une combinaison entre le courant général et le courant de marée. Le 1er dominant au moins 8 heures sur 12. Sa force varie entre 1 et 4 nœuds en fonction du vent. Surprise ! Les cartes des courants de marées consultées avant notre départ s’avèrent non conformes à la réalité. PAS de courant nul à l’étale et pas de courant favorable dans les heures qui suivent non plus. Les informations reportées sur les documents nautiques sont erronées. Le même constat est fait par nos amis Medatlantistes ayant navigué dans la zone avant et après nous. Données fantaisistes ou farce anglaise pour les marins français !... Le modus operandi était certainement la lecture des cartes à l’envers !!!! Encore un coup de Trafalgar, consignes du vice-amiral Nelson...

La «bascule » mer Méditerranée/océan Atlantique s’annonce laborieuse. La mer ne se laisse pas dompter, le marin doit constamment composer avec les éléments et toujours rester humble. Philéas affronte des courants proches de 4 nœuds ! Péniblement nous approchons du célèbre cap Trafalgar, promontoire peu élevé qui constitue la limite nord-ouest du détroit de Gibraltar, dans l’océan atlantique. La portée du phare, haut de 50 mètres, est de 22 mètres. Le cap est prolongé par une large plate-forme côtière où des projets de parc éolien offshore ont été développés sans se concrétiser.

Cap Trafalgar
Pour le marin français, le cap de Trafalgar est bien davantage : il y a 2 siècles pratiquement jour pour jour, la bataille de Trafalgar opposait le 21 octobre 1805 la flotte franco-espagnole sous les ordres du vice-amiral Villeneuve et la flotte britannique commandée par le vice-amiral Nelson qui remporta la victoire malgré une infériorité numérique des anglais. Les deux tiers des navires franco-espagnols furent détruits et Napoléon dut renoncer à tout espoir de conquête du Royaume Uni. Marins navigant devant le cap de Trafalgar souvenez-vous ! Le courant devant le cap s’intensifie comme pour nous laisser le temps d’une commémoration.

Devant le cap Trafalgar
Nous n’avons cependant pas de temps à perdre ; un coup de vent est annoncé en soirée. Nous espérons arriver à 19h00 à la marina d’El Puerto de Santa Maria. La visibilité est médiocre. Nous approchons de Cadix. De nombreux hauts fonds nous contraignent à une navigation précise et soignée en cap. Le capitaine étudie la carte et retransmet ces ordres :

- « 15° à droite »
- « La barre est 15° à droite »
- « bien »

La houle nous fait dériver de notre cap et oblige une perpétuelle correction. Au poste d’observation avec les jumelles pendant plus d’une heure, je scrute les bouées signalant les dangers : marques cardinales, d’eau saine et d’entrée de ports. Nous nous frayons un passage, laissant la tour d’entrée du port de Cadix à bâbord. Nous embouquons le chenal donnant accès à El Puerto de Santa Maria. Nouvelle surprise, rien à voir avec un canal aux eaux bien tranquilles. Nous ne sommes protégés ni du vent ni du courant. Le courant est plutôt fort et le passage étroit. Nous affalons les voiles et faisons route au moteur. Par VHF, canal 9 je contacte le port. Nous ne nous comprenons pas : ils ne parlent pas anglais (ni français) et mois pas espagnol (et non toujours pas, il va falloir s’y mettre !!). Cependant, un « marinero » nous attend sur l’eau et nous indique un emplacement où nous accostons après quelques frayeurs car nous sommes poussés par le vent et le courant. Philéas handicapé par ses deux quilles est difficilement manœuvrant. Nous n’avons pas ni propulseur d’étrave ni moteur super puissant pour faciliter les manœuvres de port. Mais c’est sans compter sur l’expérience du capitaine, maître de manœuvre professionnel pendant de nombreuses années !!!!

19h30 Philéas est accosté. L’équipage trempé et harassé range les extérieurs avant de mettre pied à terre pour aller saluer les médatlantistes déjà arrivés.
Bientôt le vent forcit encore et nous nous félicitons d’être confortablement amarrés à quai.
Du 27 au 29 octobre nos journées sont consacrées, comme à chaque escale, à quelques travaux de maintenance, à l’avitaillement et au tourisme bien entendu. Cette escale est de plus l’un des trois lieux de rassemblement de notre rallye. La communauté de médatlantistes se retrouve pour des moments festifs et pour le briefing avant le départ, chacun y allant de son RETEX.
Cadix est situé à 40 minutes en bus de notre marina. Il est également possible de s’y rendre par navette maritime, mais un mouvement de grève nous interdit ce moyen pendant notre séjour.
Christian et Brigitte à Cadix
Cadix est la capitale de la province de Cadix et appartient à la communauté autonome d’Andalousie. C’est l’unique ville importante du golfe de Cadix dont la population diminue en raison d’une forte émigration. Elle est l’une des plus anciennes villes d’Europe fondée sous le nom de Gadès en 1104 avant J-C par les Phéniciens. Après la traversée de l’Atlantique de Christophe Colomb, les navires espagnols en 1492 qui rapportaient les trésors des Amériques utilisèrent Cadix comme port de rattachement et la ville devint une des plus riches villes d’Europe. Quand l’Espagne perdit ses colonies en Amérique, au XIXème siècle la richesse de la ville commença à décliner. La visite de la ville offre aux visiteurs de nombreux bâtiments ou monuments témoins de la période prospère de Cadix.

Commerce du Cigare à Cadix

El Puerto de Santa Maria avec près de 22 km de côtes, se caractérise par ses 16 km de plages, toutes de sable fin et plus de 3200 heures de soleil par an. 90 000 personnes y vivent à l’année. On les appelle les Portuenses. La population locale augmente fortement en juillet-août grâce à son charme typiquement andalou qui séduit les vacanciers. Beaucoup d’habitants de Madrid, Séville ou des grandes villes d’Andalousie possèdent des résidences secondaires à El Puerto Santa Maria et ses alentours.


place d'Espagne El Puerto de Santa Maria

L’escale touche à sa fin, il est temps de poursuivre notre route vers Les Canaries. La navigation s’annonce difficile, fin octobre n’étant pas la période la plus propice à la navigation dans la zone.


Les cigognes quittent l'Alsace pour Cadix et Philéas continue sa route....