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dimanche 31 mai 2015

PHILEAS EN FLORIDE

Plus d’un mois s’est écoulé depuis notre arrivée dans les eaux cubaines, un mois riche en découvertes, en aventures et en rencontres. Cuba ne peut laisser indifférent. Si Philéas tourne la page de cette longue étape, le souvenir d’un séjour agréable restera Fidel….

Le 5 mai Philéas se détache du quai de la marina avec un équipage réduit ; Alain nous quitte temporairement pour poser son sac sur un voilier du club dont l’équipage a débarqué à La Havane. Eric, le skipper d’Aldébaran apprécie ce renfort bienvenu pour cette petite traversée.

A bord de Philéas nous reprenons nos vieilles habitudes de quart par bordée avec une relève toutes les six heures la nuit. Le Gulf Stream génère une mer désordonnée et Philéas s’adonne au jerk. Nous ne pestons pas cependant car Philéas est poussé par le courant et tiré par ses voiles. Le Gulf Stream multiplie notre vitesse par deux. Le loch affiche 8 nœuds et s’envole ponctuellement à 10 nœuds….

Depuis huit mois, déjà, Philéas s’est éloigné de la Méditerranée et de son port d’attache toulonnais. Océan Atlantique Nord, mer des Caraïbes, Petites Antilles, Grandes Antilles sont devenus ses jardins de navigation. L’équipage, à la peau cuivrée par le soleil perpétuel n’a connu ni automne ni hiver. Tandis que l’été approche dans l’hexagone, Philéas amorce sa remontée vers le nord des Etats-Unis en longeant la côte Est. Le plaisir des baignades dans une mer affichant une température moyenne de 30° va céder sa place à des activités plus hétéroclites : navigation dans les Intra Coastal Waterways(1) aux paysages plus champêtres et forestiers que maritimes, observation de la vie animale terrestre, passage sous des ponts fixes et mobiles, calcul des marées et des tirants d’air… La couleur marron de l’eau des canaux dissuade de toute envie de baignade. L’équipage bien imprégné du rythme de vie décontracté des iles antillaises pénètre dans un autre monde. Le style américain de vie très conventionnel contraste avec le comportement moins vétilleux des Antillais et des Méditerranéens.

Dès notre arrivée à Key West, en Floride, nous sommes plongés dans la rigueur américaine. Si la délégation MédHermione bénéficie d’un accueil privilégié, fruit d’un travail assidu entre l’équipe organisatrice toulonnaise de la croisière américaine et notre officier de liaison franco-américain, il n’en demeure pas moins que la loi reste la loi. Notre flottille est attendue et traitée avec bienveillance. Les cambuses des voiliers sont inspectées, mais sans excès de zèle, à condition toutefois d’avoir respecté les consignes édictées : aucun produit frais d’origine  animale et végétale ne doit pénétrer sur sol américain. Les contrevenants voient leurs provisions illégales saisies pour être brûlées. Les autorités sont courtoises et aimables mais aux Etats-Unis on ne badine pas avec la loi, on la respecte. It’s the law !
  
Notre croisière sur les traces de Lafayette ne laisse pas insensible le peuple américain. Sur le ponton de la marina à Key West les badauds s’attardent avec curiosité devant l’affiche présentant notre périple. Ils manifestent un intérêt réel et admiratif lors de nos échanges verbaux.  

La municipalité de la ville quant à elle s’implique directement en prenant à sa charge les frais de l’ensemble de la flottille, une facture bien salée de 4 000 $.

Les membres de la Navy League nous honorent d’un cocktail dînatoire organisé sur une terrasse remarquablement bien située pour l’observation de la rade avec en prime un coucher de soleil d’anthologie et au premier plan la réplique de la goélette America.



La première partie de la phase américaine de MédHermione se présente sous de bons auspices !

Key West est le point extrême du sud des Etats-Unis. Située à 207 km de La Havane elle jouit d’une position stratégique sur le détroit de Floride à moins de 150 km des côtes de Cuba.     

Dans les rues de la ville des enseignes de boutiques, de bars, de restaurants, sur les plaques d’immatriculation des véhicules, le terme « Conchs », « Conch republic », « Conch ceci » « Conch cela » apparaît. Rien à voir  avec le coquillage éponyme ! Ce terme –qui se prononce conque- fait référence aux natifs des Bahamas de descendance européenne. Les Conchs s’installèrent en nombre après 1830 et peuplèrent Key West. Ce surnom qualifie aujourd’hui les habitants de la ville en général mais distingue les natifs propres, les Conchs, des habitants de longue date nés ailleurs, les Freshwater Conchs (littéralement Conchs d’eau douce).

De 1960 à 1980, période de la révolution cubaine, Key West fut le point de chute de nombreux exilés cubains. D’abord fréquentée par des artistes et des intellectuels, la ville attira très vite une intelligentsia bohème et fortunée et à partir des années 1980 un nombre important d’homosexuels attirés par l’équanimité traditionnelle des autochtones, l’ambiance du milieu artistique et un patrimoine architectural pratiquement intact. La ville connut une véritable embellie et une gentrification qui s’accéléra avec l’accroissement de sa notoriété à la fin du XXème siècle.

Key West
A Key West, le St Tropez américain, les rues se peuplent et débordent d’animation en fin de journée. Musiciens et chanteurs créent une ambiance estivale dans les bars et restaurants pour le plus grand plaisir des clients : musiques éclectiques mais de bon goût. Les rythmes cubains ne sont pas en reste non plus. Nous avons l’impression de temps à autre de prolonger notre séjour à La Havane….en fermant les yeux toutefois car le cadre est plus branché. Quelques restaurants affichent un style hors du commun : des murs tapissés de plaques d’immatriculation, des tables faites de vieilles bobines de films. L’imagination n’a pas de limite pour créer une atmosphère unique.

En ville l’architecture des maisons a conservé un cachet typique des années 1886 à 1912, à forte influence victorienne, avec des bungalows, des maisons de type shotgun(2),  des maisons à un étage, lambrissées et coiffées de toits métalliques, toutes construites en bois sur un socle surélevé d’environ un mètre par des pilotis. Peintes de couleurs pastel, elles sont ornées de découpages de  corniches, de balustres et de motifs et souvent entourées d’un porche ou d’une véranda.
La ville « neuve » située à la partie Est de l’île a été gagnée en grande partie sur les mangroves et la lagune. Elle abrite les nouveaux quartiers à vocation résidentielle et commerciale.

Dans la marina les voiliers sont minoritaires. Les yachts à moteur, plus adaptés à la navigation dans les canaux peu profonds  surplombés de nombreux ponts, ou à la pratique de la pêche au gros, rivalisent de taille et de puissance. Depuis le cockpit de Philéas nous assistons au retour de pêche, à la découpe de belles prises que les pêcheurs tout fiers suspendent à des crocs de boucher en file indienne avant de les débiter. Têtes, queues, viscères sont rejetées à l’eau pour le déjeuner des tarpons de tailles impressionnantes qui se ruent autour de la poissonnerie pour engloutir une part du festin.  Les oiseaux de mer se précipitent et plongent à la hâte pour faire  ripaille.

Des lamantins(3) fréquentent les eaux de la marina. Christian et Alain ont le privilège d’en apercevoir un. A ma grande déception je n’étais pas là au bon moment.

Nos trois jours d’escale défilent bien trop vite comme toujours. Une journée minimum est consacrée à la maintenance, à la lessive, à l’approvisionnement de la cambuse et pour une  fois à la recherche d’un prestataire de service pour un abonnement téléphonique et  Internet temporaire. Nos déplacements s’effectuent en bus ou en taxi, nos fournisseurs, bien entendu, ne sont pas concentrés autour de la marina.

Les pleins d’eau et de gasoil effectués nous quittons Key West pour la seconde plus grande commune de Floride en termes d’habitants, Miami.


Ville de loisirs, de distractions, Miami est une station balnéaire dont la renommée n’est pas à démontrer. Qui n’a jamais entendu parler de Miami ? Mais saviez-vous qu’elle est jumelée avec Nice ?


Little Habana
Entre Amérique du Nord, Amérique du Sud, Amérique Centrale et Caraïbes, Miami, surnommée « Porte des Amériques » est le type même du melting pot : quartier englobant une importante minorité cubaine à Little Habana, quartiers  à forte concentration de populations noires, ce pôle urbain est aussi francophone par sa minorité haïtienne qui cumule les legs de la pauvreté. Les langues vernaculaires sont l’anglais, l’espagnol mais aussi le créole haïtien. Miami entretient des liens économiques puissants avec l’Amérique latine. Il n’est pas surprenant qu’elle soit l’un des grands centres hispanophones des Etats-Unis. 

La métropole de Miami englobe  un grand nombre d’îles parmi lesquelles Miami Beach reliée à la côte par sept ponts routiers. Philéas choisit la version « mouillage à Miami Beach » pour échapper au prix prohibitif -4,5 $ par pied-(4)  pratiqué par la marina. Le site a de surcroît  l’avantage d’être situé à proximité des zones commerciales et de la fameuse plage. Pour nous rendre à Miami, nous empruntons tantôt le metrorail, métro de 36 km, tantôt les trois lignes du metromover ou encore les metrobus. Nous flânons à Downtown le centre-ville, à Midtown au nord, à Little Habana, à Coconut Grove l’un des endroits très en vogue en soirée et les weekend et fréquentés par les étudiants, Ici notre statut de piéton n’est pas un handicap.  

Passera ?????



Notre installation à Miami Beach plonge Christian immédiatement dans le vif du sujet : calcul des marées pour emprunter les chenaux avec suffisamment d’eau sous la quille… et calcul du tirant d’air pour passer sous les ponts fixes sans y abandonner une partie du mât.
Passe.......


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Philéas ne s’est délesté ni de son mât ni de sa quille, l’aventure MédHermione peut continuer, les experts à Miami s’en félicitent… 








Jeu de devinette pour mes amis lecteurs :

Quel est le point commun entre les films Goldfinder, la Cage aux folles (version américaine), le transporteur et la série télévisée Dexter ?

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(1)Intra Coastal Waterway : réseau de canaux et de voies d’eau navigables de 4800 situé le long du littoral oriental américain. Les ICW s’étendent de la Floride à Norfolk. Certaines sections sont des baies, des rivières et des détroits naturels, d’autres ont été aménagées par l’homme.
(2)  type de maison américaine caractérisée par une structure rectangulaire étroite.
(3)  lamantin : Gros mammifère herbivore, au corps fuselé vivant en eaux littorales peu profondes. Les lamantins figurent depuis 1973 sur la liste des espèces en voie de disparition. Dès 1904 l’Etat de Floride a interdit la chasse de ces animaux inoffensifs. L’aquarium de Miami est le premier à avoir réussi la reproduction en captivité. Sa large face et son alimentation lui vaut le surnom de vache de mer.
 (4) Philéas mesure 34 pieds


mardi 5 mai 2015

CUBA : PHILEAS A LA HAVANE

3ème et dernier épisode : Philéas à La Havane

Notre séjour « nature et découverte » cède sa place à la séquence « rencontre » avec la Havane. Une semaine n’est pas de trop pour faire connaissance avec les trois principaux quartiers : la Habana Vieja, Centro Habana et le Vedado ainsi que le  Malecón.



Cette avenue de bord de mer, repère incontournable s’est imposé comme l’une des images cultes de la capitale cubaine. Il s’étire sur 8 k entre Centro Habana, Vedado et Miramar.



Dans le centre historique de la capitale, où que le regard se pose, l’histoire est omniprésente. Le musée de la révolution, au programme de nos visites, s’avère un peu décevant. La propagande en est le fil conducteur. Mais devions-nous nous attendre à autre chose ? Quant à l’architecture de la Havane elle n’est pas sans rappeler la faune et la flore de l’ile : inclassable et parfois assez étrange.




Habana Vieja est parsemée de joyaux architecturaux de toutes les époques, malheureusement beaucoup ne sont pas restaurés et tombent en décrépitude. Dommage car la ville propose aux visiteurs l’une des plus belles collections d’édifices urbains au cachet jadis sans conteste. La vieille ville compte à elle-seule plus de 900 édifices historiques déclinant toutes sortes d’architectures illustres du baroque alambiqué au fastueux art déco.


Dans Centro Habana,  quartiers populaires, palais somptueux et décatis côtoient  les immeubles délabrés. Plusieurs menacent de s’écrouler. Seules les façades donnent encore un aperçu de l’opulence des années fastes. Le pays a évité l’asphyxie grâce aux subventions soviétiques estimées à 5 milliards de dollars jusqu’en 1990. A partir de cette date les accords avec l’ex-URSS ont été résiliés entraînant un manque à gagner considérable pour CUBA.



Les difficultés quotidiennes se multiplient dans tous les domaines. Le malaise est flagrant, le peuple cubain a du mal à subvenir à ses besoins. Les problèmes d’approvisionnement n’offrent aucune diversité de produits. Un résident français m’a déclaré avoir fait 150 km pour trouver du papier toilette.



En revanche, en saison, les fruits et légumes locaux ne manquent pas : mangues, papayes, ananas, tomates, patates douces…. Les producteurs sont autorisés à vendre 10% de leur production aux consommateurs, le reste revient à l’Etat. Des marchands ambulants, proposent également dans les rues de la capitale un petit échantillon de ces produits frais. Nous y avons rempli notre panier à la fin de nos journées de visites.

Le salaire moyen d’un travailleur est de 20 CUC(1) par mois. Celui des médecins atteint les 100 CUC. Tous les emplois sont gérés par l’Etat. Si un résident étranger souhaite employer un chauffeur par exemple il devra acquitter la somme de 1 000 CUC par mois à l’Etat, le salaire remis au conducteur ne sera que de 20 CUC. En contrepartie les Cubains s’approvisionnent dans les magasins d’Etat où les prix sont très bas mais les articles de pauvre diversité. Les soins médicaux sont pris en charge par l’Etat également. 

Pas étonnant qu’un marché noir se développe pour arrondir les fins de mois. Durant notre séjour à La Havane, Philéas était accosté derrière la porte de service d’un restaurant. Nous étions aux premières loges pour assister à l’un des modi operandi. Chaque jour à l’issue de leur service les cuisiniers et serveurs emportaient un sac plastique généreusement rempli. Ce petit rituel nous intriguait. Au fil des discussions avec les résidents nous fîmes le rapprochement. Les denrées détournées étaient probablement destinées au marché parallèle.


Le Cubain ne se départit pas de sa bonne humeur ; le chant, la danse et la musique s’inscrivent dans les fondamentaux de la société. Les arts musicaux, fruit d’un métissage entre les cultures espagnoles et africaines, sont également nourris d’influences françaises, haïtiennes et italiennes. Cuba a littéralement la musique dans la peau : son, salsa, rumba, songo, opéra, jazz…

Impossible de parler de Cuba sans penser à Hemingway ! Journaliste, écrivain, prix Nobel de littérature en 1954, grand voyageur dans les Caraïbes, Hemingway a élu domicile à Cuba, à la Havane dans un premier temps puis dans un petit village à une quinzaine de kilomètres de la capitale. Après son retour d’Espagne, l’écrivain rencontre un pêcheur qu’il immortalisera dans son œuvre « Le vieil homme et la mer ». Chez un bouquiniste à la Havane j’ai acheté un exemplaire, version espagnole, de ce livre, en pensant à Esperanza, ma professeure d’espagnol du Beausset.  
Cuba aujourd’hui reste attachée au souvenir de cet illustre résident. Pour preuve la marina où nous séjournons porte son nom. Au bar El Floridita une statue d’Ernest Hemingway rend hommage à l’artiste. Les murs bleus délavés, couverts de graffitis et de photos noir et blanc des stars qui s’y sont attablées, tentent de faire revivre la Belle Epoque.



S’il est bien un domaine dans lequel l’île n’a pas son égal dans le monde, c’est bien dans la qualité de ses cigares. Les producteurs de cigares profitent de conditions climatiques propices à la constance de la production et de la qualité des feuilles de tabac. A Cuba le cigare est un monument national. Tout y est sous la main : le planteur, la récolte… et le rouleur.





Je pourrais passer encore bien des heures à vous faire partager mon expérience cubaine au risque de vous lasser. Cependant je ne peux clôturer mon récit sans aborder le thème de l’hospitalité. Les Cubains font partie des hôtes les plus chaleureux et les plus accueillants rencontrés depuis notre départ. Pour moi, Cuba fut et reste un vrai  coup de cœur. Un regret : ne pas avoir disposé de davantage de temps pour profiter de la beauté sauvage des cayos(2) et pour découvrir l’intérieur du pays. Mais l’Amérique, la grande rivale, nous attend à Key West pour une nouvelle phase.



(1) 1 CUC équivaut à peu près à un euro. Il est indexé sur le dollar US.
(2) cayo : îlot


vendredi 1 mai 2015

CUBA : BEAUTE SAUVAGE

2ème épisode du séjour de Philéas

La particularité de cayo Guano del Este, son phare vraiment atypique, a attiré notre curiosité et motivé notre escale. Il ressemble à une fusée prête à décoller. Les gardiens exilés pour trente jours sur cette île déserte sont ravis de voir des navigateurs débarquer et rompre la monotonie quotidienne de leur séjour. Ils nous invitent avec plaisir à pratiquer un peu d’exercice. Nous gravissons les 234 marches, l’escalier en colimaçon n’en finit pas de tourner encore et encore.


Au sommet notre récompense nous attend, nous avons attrapé le pompon…une superbe vue plongeante sur la mer et sur Philéas, reposant 45 mètres plus bas, bien petit sur cette immensité bleue. Notre guide nous explique que l’ancien phare a été détruit par un cyclone entraînant des morts parmi les gardiens. Reconstruit en 1972 avec l’aide des russes, ce puissant phare a pris la relève. Des pêcheurs viennent jeter leur ancre de temps à autre aux abords de l’île. L’accostage n’y est pas possible et le débarquement peu aisé. La côte déchiquetée au corail  agressif dissuade toute tentative d’approche. Il est plus sage de débarquer en annexe au nord, sur la plage et de rejoindre le phare par la terre. Pour changer des langoustes nous achetons du poisson aux gardiens, un beau pargo à chair bien goûteuse qui fera ce soir le bonheur de l’équipage.


Nous partageons ce mouillage avec nos amis MédHermionistes d’Eraünsia et nous retrouvons autour d’un ti-punch siroté dans le cockpit de Philéas en contemplant le soleil déclinant en douceur. Après une paisible nuit de sommeil et un dernier regard sur ce phare insolite nous appareillons pour rejoindre cayo Largo del Sur où la flottille a choisi de se rassembler.


Cette île s’est tournée exclusivement vers le tourisme dès le début des années 1980, les Cubains en revanche ne s’y sont jamais vraiment installés. En 2001 l’ouragan Michelle de catégorie 4 causa une onde de tempête qui inonda totalement cayo Largo. Quatre complexes hôteliers haut de gamme ont repris possession de l’île. Des tours opérateurs canadiens et italiens proposent à leur clientèle des formules vacances tout compris.

Nous nous installons dans un premier temps à l’extérieur du chenal d’accès au milieu d’îlots au sable blanc éclatant. Les fonds avoisinants les cayos sont peu profonds et obligent à rester à une distance respectable des plages. En fin de journée les catamarans promenant les touristes de cayo en cayo désertent le plan d’eau et nous partageons l’exclusivité du site avec une poignée de plaisanciers.  

cayo Largo del Sur
Le lendemain nous rejoignons nos amis à la marina en empruntant le long chenal bien balisé bordé de cayos et de mangrove. Les couleurs rivalisent pour charmer le navigateur qui s’y engage : bleu turquoise, vert émeraude de la mer, vert tendre de la mangrove, couleurs   mises en exergue par une luminosité exceptionnelle. Epoustouflant tableau ! Christian est cependant bien trop concentré sur sa route pour profiter du spectacle. Des aigrettes élisent domicile dans la mangrove et rajoutent une touche de fraîcheur à ce paysage empreint de sérénité.  La marina elle-même est un havre de tranquillité, un lieu de détente. Comme sur chaque îlot cubain habité, les garde-côtes montent à bord, font leurs pages d’écriture à notre arrivée et ne nous restituent notre despacho(1) qu’au moment du départ, moyen le plus sûr de surveiller nos déplacements.

Cayo Cantiles
A cayo Cantiles notre escale suivante, aucun garde-côtes n’est affecté à la surveillance des eaux cubaines en revanche des gardiens de …l’île relevés là-aussi tous les trente jours y sont chargés de la protection du site. Leurs installations sont rudimentaires mais ils s’en contentent. Cinq voiliers du groupe MédHermione optent pour ce mouillage forain. C’est la surfréquentation ! Un sixième voilier, « Rio Bravo », y a jeté l’ancre. Serait-ce un RM 1270 ? Oui et non ; Le propriétaire a acheté la coque nue chez Fora Marine mais les aménagements intérieur et extérieur et le plan de voilure ont été effectués par des équipementiers différents.

A notre demande, les gardiens nous autorisent à organiser un barbecue sur la plage sous l’œil vigilent de l’un d’eux. Chaque équipage apporte ses langoustes à griller sur la plage, Aldébaran y adjoint un beau thazard pêché dans l’après-midi et tous se rassemblent autour d’un joyeux feu de camp. La soirée se termine en chansons dans une ambiance festive.
Point d’appareillage matinal le lendemain, nous espérons une livraison de langoustes par les pêcheurs…en vain. Nous relevons l’ancre en milieu de matinée.
Langouste
Le soleil est encore haut dans le ciel lorsque nous atteignons cayo Matias. L’accès y est délimité par une passe naturelle non balisée. Les lames déferlent sur la barrière de corail scindée en deux parties. Au centre la nature a prévu un passage unique à l’intention des navigateurs peu frileux. Au poste d’observation à l’étrave, juchée sur le balcon, je scrute les fonds pour détecter des récifs malicieux qui pourraient venir embrasser nos quilles. Les guides nautiques recensent des hauteurs d’eau de 2,5 mètres minimum alors que le sondeur indique par endroits 2 mètres, 1,80 mètre. Nous rebroussons chemin à deux ou trois reprises. Les données ne s’avèrent pas fiables. La tension est palpable à bord et finalement nous restons prudents et  jetons l’ancre non loin de la passe. Le mouillage dégage une atmosphère insolite de bout du monde. Philéas donne l’impression d’être immobilisé en pleine mer. A la tombée de la nuit le bruit des brisants déferlant sur les récifs est amplifié, un mince croissant de lune illumine à peine la surface de l’eau. Le lendemain au lever du jour, Christian, à notre étonnement, sonne le branle-bas, nous appareillons. Le skipper a mal dormi, des nuages menaçants ont entaché sa sérénité nocturne. Nous louvoyons en direction de la porte de sortie lorsque… Philéas s’immobilise sur un banc de sable. Il s’en suit un grand moment de solitude, pas de marée pour nous offrir un ou deux centimètres sous les quilles et pas âme qui vive aux alentours. Finalement VOLVO PENTA(2), notre précieux allié, réussit à forcer le passage sur ce fond mouvant. Les quilles tracent leur chemin, quelques petits bonds et ouf… Philéas est libéré, sans dommage. Le dessous des quilles aura été nettoyé des algues et coquillages épiphytes !      

Hirondelles de mer
Travers au vent de Sud-Sud-Est de force 5, Philéas respire. Il nous emmène à l’Isla de la Juventud(3), nous les heureux retraités. Imposante virgule de terre au sud-ouest de Cuba l’île classée parc national maritime, séduit les amateurs de plongée attirés par les jardins coralliens et les grottes sous-marines. Nous jetons notre dévolu sur Puerto Francès bordé d’une plage interminable. Nous croisons DIADEM, voilier de la flottille, il appareille pour une navigation de nuit et nous laisse l’exclusivité du mouillage. Là encore le côté sauvage du site et l’eau limpide sont époustouflants. Les îles cubaines regorgent de petits paradis accessibles aux seuls navigateurs. Le lendemain matin à l’aube, des hirondelles de mer nous rendent visite en toute discrétion. Posées en file indienne sur la filière elles procèdent à leur toilette quotidienne. La nature me fait un appel du pied et m’invite à découvrir ses merveilles discrètes. Je débarque à terre, seule, en annexe, et me laisse guider par ma curiosité ; Christian et Alain ne se sentant pas des âmes d’explorateurs restent à bord. Sable et coraux tapissent les fonds. Le courant entraîne en bordure de plage de nombreux poissons qui évoluent dans dix à quinze centimètres d’eau.
carrelet
Un carrelet paon reconnaissable à ses nombreuses rosettes bleues circulaires et à sa longue nageoire pectorale, affolé par ma présence, s’échappe tandis qu’un poisson bourse s’immobilise espérant passer inaperçu. Et surprise, une langouste attire mon regard. J’hésite, elle améliorerait bien l’ordinaire mais je n’ai pas de gants. Le crustacé lève ses antennes, je les saisis d’une poigne mal assurée. Un coup de queue nerveux et il s’enfuie à toute vitesse. La prochaine fois je ne prendrai pas de gants mais j’en mettrai…. Ici et là sur la rive, des branches de gorgone gisent sur le sable. Ces éventails de mer, plats et réticulés ont conservé leur couleur pourpre. Plus loin d’imposantes étoiles de mer d’un orange soutenu, coussins de mer à cinq doigts épais et trapus terminés en pointe n’ont pas quitté leur milieu naturel. Je ne me lasse pas de cette ballade dans cet aquarium géant.

La mer véhicule des objets disparates étrangers à la nature et le courant se charge de les déposer sur le rivage : une tongue, une chaussure en caoutchouc, des morceaux de plastique etc… Un immense filet s’est échoué sur la plage, ses longues mailles orange telles des tentacules   emprisonnent la végétation basse.
Je rebrousse chemin et tente une incursion dans l’île à la recherche d’oiseaux endémiques. Tiens l’homme est passé par là ! Un sentier relativement large a été tracé entre les arbres. Il doit probablement relier la plage au club de plongée situé à cinq kilomètres. Je m’y engage. Les moustiques m’agressent sans vergogne, les oiseaux hyperactifs ne tiennent pas en place, il est difficile de les approcher. Puis un bruit de sabots vient rompre le silence ; bouche bée, je vois passer devant moi un …cervidé. Interloquée, je m’exclame : « Cà alors ! » C’était bien le dernier animal que je pensais rencontrer ici. L’heure tourne, il me faut rentrer à bord. Une mouette à tête noire d’Amérique s’envole à proximité du dinghy. Après cette excursion fort agréable,  un petit bain rafraichissant est le bienvenu, les températures de l’air et de l’eau voisinent respectivement les 34° et les 30°.

Nous naviguons de cayo en cayo soit en journée lorsque la distance à couvrir n’excède pas les cinquante nautiques, soit de nuit si le trajet avoisine les quatre-vingt nautiques. Cuba,  7ème île du monde par ses dimensions, et la plus grande des Antilles, regroupe environ 1600 îles et cayos, 3715 km2. Un mois à vagabonder dans cette immensité laisse un sentiment de découvertes inachevées et appelle à un séjour bien plus long, sans impératif de rendez-vous. Chaque îlot est un émerveillement. La beauté sauvage des paysages et de la flore nous laisse sans voix. La main de l’homme ne s’est pas encore abattue sur ces trésors naturels. Nous avons un aperçu de ce que furent jadis les Antilles, et de toutes ces îles encore peu fréquentées et louées par les premiers navigateurs aventuriers. Les Jardins de la Reine attirent sporadiquement quelques voiliers mais plus nous remontons vers le nord plus les rencontres sont rares. Quel privilège de disposer de l’exclusivité des mouillages. Nous en usons sans modération et sans nous lasser. La côte d’Azur, noire de plaisanciers en juillet-août ne nous déroulera jamais un tel tapis rouge. Jamais nous ne ressentons de monotonie, la mer est un théâtre bien vivant pour le navigateur réceptif à son environnement.
Un jour, à l’heure où le soleil décline, un passager tente une approche clandestine. La houle balance la piste d’atterrissage et rend l’opération mal aisée. L’hirondelle de mer survole Philéas à moult reprises, virevolte, s’éloigne, revient. Les barres de flèche sont trop larges pour s’y agripper, la grand-voile n’offre aucun rebord. Nous observons son manège sans bruit et surtout sans bouger. Elle passe au-dessus de nos têtes puis finalement parvient à se poser sur le banc à côté de mon pied. Je retiens mon souffle pour ne pas l’effrayer. Son équilibre est précaire. En sautillant, elle se rapproche en se plaquant au sol. Elle semble épuisée. Ses petits battements d’aile tendent à contrebalancer la gite de Philéas mais décidemment la situation est trop inconfortable, elle reprend son envol.
Des dauphins viennent souvent nous rendre visite et flirter avec l’étrave de Philéas. Tels des enfants nous nous installons aux premières loges et observons leurs ballets et leurs jeux. Ils chevauchent les vagues et nous jettent de petits coups d’œil malicieux. A quelle famille appartiennent-ils ? Les livres sont alors de sortie et nous donnent des indices. Ceux régulièrement  rencontrés à Cuba sont des dauphins tachetés pantropicaux identifiables à leur dos moucheté, leur long rostre, blanc à l’extrémité.       
Un autre jour, à la fin du déjeuner pris dans le cockpit, mon attention est retenue par une masse dans le sillage de Philéas. Corps fuselé et ailerons  bleus fluorescents d’apparence, nous reconnaissons  un requin sans en distinguer l’espèce. Il semble particulièrement intéressé par l’hélice de notre hydro-générateur. Christian s’empresse de relever le watt & sea avant qu’une pale ne se fasse croquer…

Nous rejoignons Maria La Gorda à l’issue d’une navigation nocturne. L’intérêt de cette escale est relatif. Un hôtel, le plus reculé de l’île, jouxte une plage bordée de palmiers. Il est fréquenté par des amateurs de plongée. Nous en profitons pour faire recharger notre bouteille et prendre un peu de repos avant de poursuivre vers le cap San Antonio.

restaurant particulier
La côte nord est manifestement plus surveillée que celle du sud. A l’approche du cap San Antonio, le sémaphore prend un contact radio et nous soumet à un interrogatoire en règle : provenance, destination, nombre de personnes à bord, nationalité, etc… Peu avant 19h00 un garde-côtes de Punta Morros de Piedra, sans doute informé de notre arrivée, nous attend avec impatience sur le quai et suit avec attention notre manœuvre de mouillage. L’annexe est gonflée à la hâte et nous débarquons pour accomplir les formalités d’usage. Hormis les îlots inhabités, un  ou plusieurs garde-côtes sont affectés à la surveillance des tous les abords de Cuba. En général ils se déplacent à bord pour enregistrer notre présence et vérifier l’identité de l’équipage. C’est la première fois qu’aucune autorité n’embarque à bord. Depuis peu une marina est implantée à Punta Morros.  A vrai dire il s’agit de l’aménagement d’un unique quai en béton existant en postes d’amarrage protégés par de grossières défenses en caoutchouc noir. A l’heure actuelle la marina est en mesure d’accueillir quatre ou cinq voiliers.

Marina Punta Morros de Piedra
Un bâtiment d’apparence récente abrite les sanitaires, le bureau des garde-côtes et de l’infirmier. A proximité un bar-salle de restaurant et un petit magasin font la fierté du gérant. Nous sommes les seuls clients et le maître du port est au petit soin pour nous rendre le séjour agréable. C’est bien la première fois que nous disposons d’une marina uniquement pour nous ! Le lendemain le cuisinier est tout heureux de nous préparer un déjeuner. La qualité du service nous surprend ; la présentation des plats est recherchée, le service lui-même est soigné. De toute  évidence le cuisinier-serveur y met du cœur pour nous satisfaire.

Jusqu’à présent la plupart de nos interlocuteurs ne pratiquait que la langue de Cervantès. A Punta Morros de Piedra le personnel possède quelques notions d’anglais qu’il met à profit pour engager la discussion. L’apprentissage de l’anglais en milieu scolaire serait-il en passe de supplanter l’étude du russe ?

Le lendemain à 16h00 nous appareillons pour La Havane, notre dernière escale cubaine et laissons nos hôtes à leur solitude et à leur routine.






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(1) despacho : permis de navigation
(2) VOLVO PENTA : marque de notre moteur.
(3) Isla de la Juventud : ile de la jeunesse.