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lundi 28 septembre 2015

LE RETOUR : LA BOUCLE EST BOUCLEE


A Gibraltar Patrice et Nathalie arrivent au terme de leur voyage. Nous les retrouverons dans une dizaine de jours à Porquerolles. Sans traîner à l’issue d’une seule journée d’escale assez dense consacrée à la logistique et à une rapide balade de la ville nous appareillons, en équipage réduit cette fois.

La remontée de la côte méditerranéenne ne se présente pas sous les meilleurs auspices. Nous n’avons cependant plus le temps d’attendre une fenêtre météo plus favorable. Notre navigation est largement marquée par des conditions bien souvent pénibles, pénibles : instable et versatile, la réputation d’Eole de ce côté de Gibraltar se confirme une fois encore. Tout ou rien, point d’équilibre !  Très vite des vents contraires nous contraignent à tirer des bords encore et encore. Le passage du Cap de Gata est laborieux. Nos quarts nocturnes de 6 heures commencent à se faire ressentir. La nuit la côte semble ne jamais défiler, tantôt sur bâbord, tantôt sur tribord. De nombreux cargos croisent notre route et exigent une veille attentive. Les illuminations  à outrance des villes côtières constituent un vrai fléau pour distinguer les feux de navigation des bâtiments  des lumières citadines. Enfin après trois jours de mer dont deux à louvoyer et 78 nautiques de détour nous touchons Carthagène.

Peu avant le chenal d’accès au port, une vedette de la « Guarda civil » file sur nous et nous somme de nous arrêter. Elle se présente à couple de Philéas et un agent monte à bord pour vérifier nos identités, carnet de navigation et assurance…  Philéas et son équipage ne sont pas hors la loi. Nous reprenons notre route et cette fois sommes accueillis par un marinero du Yacht Port de Carthagène, prêt à recevoir nos aussières.

Moins d’une heure plus tard un policier se présente sur le quai pour un nouveau contrôle. Que se passe-t-il donc dans ce pays ? Une phobie d’invasion ?    La vague d’immigration en provenance de Libye et de Syrie en est probablement la cause. Enfin, peut-être ?

La marina dispose de nombreuses places disponibles, le personnel est avenant et attentif à nos besoins. Nous apprécions.  

Carthagène fait partie de la communauté autonome de la région du Murcie, située au sud-est de la péninsule ibérique. Son territoire municipal couvre 5 fois la superficie de Paris intra-muros. Elle est aussi l’une des principales bases navales du pays (avec Rota et Ferral).

Théâtre romain
Mais surtout à Carthagène, ville fondée en 227 avant J-C par Hasdrubal le beau, 2500 ans d’histoire sont omniprésents. Le théâtre romain de Carthago Nova construit à la fin du 1° siècle avant J-C, récemment restauré, est le plus grand de la péninsule après celui de Merida. Une couverture moderne et translucide protège les restes de la cité romaine. Les amateurs d’histoire sont gâtés : ici l’Augusteum, temple dédié à l’empereur Auguste, là, la nécropole du Bas Empire romain ou encore la muraille punique, construction défensive réalisée au II° siècle avant J-C.

Palais de l'Aguirre

La ville concentre de nombreux vestiges d’époques carthaginoise et romaine, des forteresses et d’édifices d’époques moderne et néo-classique. Le centre-ville est classé historico-artistique, en particulier l’ensemble d’immeubles bourgeois du XIX siècle et début du XX° siècle comme le Palaccio de l’Aguirre (1900), le Gran hôtel Victor Beltri (1916) ou encore le palais du consistoire (1907).
Si Carthagène abrite des trésors, je quitte cette ville de haute réputation historique déçue. Je ne la sens pas vibrer, ni même simplement vivre. Je déambule dans une cité sans âme. Les façades de nombreux bâtiments sont décaties et ne tiennent que grâce à des échafaudages tuteurs installés pour les soutenir. J’ai presque l’impression d’être de retour à La Havane ! La crise est passée par là, c’est certain. Les rues commerçantes n’ont plus de caractère, les grandes enseignes de Carthagène ressemblent à celles de n’importe quelle autre ville. Rares sont les petites boutiques, rares sont les boucheries de quartier. Je me faisais une tout autre idée de Carthagène…

Belles façades
Moins d’un jour après notre appareillage de Carthagène, nous avons recours à la brise Volvo, faute de vent.  Peu après ma prise de quart du matin, de violentes vibrations me font bondir. Je débraye l’hélice immédiatement mais…trop tard. Elle a croisé le chemin d’un filet dérivant, peut-être toujours engagé. Christian plonge et…. le verdict est tout autre. L’hélice est dégagée mais elle a un jeu d’une amplitude anormale. Avarie d’hélice, la journée commence bien ! Nous ne pouvons plus compter que sur nos voiles. Si au moins nous avions du vent. Mais non, un petit force 2, dans le meilleur des cas un petit 3. Bon cela pourrait être pire. Et, le pire arrive peu avant minuit, plus un souffle et une mer bien formée. La Grand-voile claque, la bôme est amarrée pour limiter les mouvements brutaux générés par la houle. Rien à faire. Impuissants nous affalons tout, Philéas n’est plus appuyé par sa toile. Sans erre, il est ballotté au gré des vagues impitoyables.  A l’intérieur, casseroles, vaisselle, ustensiles entament une danse saccadée et hystérique dans les placards. A la relève de quart de 2 heures du matin la situation n’a pas évolué d’un iota. Pendant 9 heures nous restons encalminés, un œil sur le trafic maritime dense. Coïncidence malheureuse, notre abonnement IRIDIUM vient juste d’échoir. Nous sommes coupés du monde, certes, mais surtout des informations météorologiques que nous téléchargions par satellites et trop loin des côtes pour capter la météo sur la VHF. Nous ne sommes absolument pas manœuvrant et surveillons qu’aucun cargo n’ait une route de collision  avec nous. Pendant la nuit profonde Christian entend un souffle régulier  puis aperçoit une masse sombre s’approchant de Philéas. Elle en fait le tour, puis un deuxième et disparaît dans la nuit. Un cétacé, une baleine probablement intriguée par la silhouette de cet animal marin à 2 jambes(1).   Enfin, en milieu de matinée le vent cesse sa grève. Il nous reste encore 262 nautiques mais Eole, capricieux, a décidé de ne pas s’établir durablement. Bienvenue en Méditerranée.  5ème nuit en mer, nous devrions être arrivés ! Le scénario se reproduit, Eole récidive et fugue  dès 22h00 cette fois. Cette dernière ligne droite après quelque 14 000 nautiques parcourus est décidément semée d’embuches.

Belle prise
Nous avons cependant la satisfaction de pêcher, la veille de notre arrivée, peu avant la tombée de la nuit, un magnifique thon d’environ 8 kilos. Dommage les amis ne sont pas encore à proximité pour en profiter. 8 kilos à 2, c’est pantagruélique ! J’en prépare une partie dans un mélange sucre-sel, recette nordique transmise par un navigateur rencontré aux Açores.    



A l’approche des côtes nous captons un bulletin météo spécial annonçant un coup de vent. Il est à nos trousses mais nous avons tout de même quelques longueurs d’avance. Si Eole ne nous trahit pas une fois de plus, nous devrions l’éviter…

Nuages et coucher de soleil en mer
Le 15 septembre, un an jour pour jour depuis notre départ de Toulon, la silhouette de Porquerolles se dessine devant nous. La visibilité est très médiocre, des nuages obscurcissent le ciel. Où est donc passé l’été ? Soulagement, le coup de vent est encore derrière nous. A 22 h 00 par une nuit sans lune, nous approchons de la pointe de l’Alicastre. Nous discernons droit devant Philéas de nombreux feux de mouillage, bien insuffisants pour illuminer le plan d’eau. Nous  jetons l’ancre devant la plage Notre Dame sans nous en approcher davantage. Sans hélice, il 
nous est impossible de battre en arrière pour faire tête. Par sécurité nous mettons l’alarme du GPS, si notre ancre chasse nous serons prévenus.


Malgré l’heure tardive, nous relâchons notre tension autour d’un ti-punch, parfum  des Antilles, et trinquons aux 13 981 nautiques(2)  parcourus en un an,  aux 14 pays et leurs dépendances visités(3) dont 10 états des Etats Unis(4)

Philéas a pris le chemin des écoliers et est le dernier à rejoindre le pays…

Rassemblement à Porquerolles

En ce troisième weekend de septembre, trente voiliers investissent les postes d’amarrage situés le long de la digue de la marina de Porquerolles : dix voiliers MédHermionistes entourés de vingt  sympathisants membres du club nautique de la marine à Toulon.  Notre circumnavigation s’achève par un ultime regroupement de la flottille auquel familles et amis sont conviés.   


Du séminaire de clôture de cette  belle aventure il ressort que 221 personnes se sont laissées séduire par MédHermione, la plupart ont participé à une voire plusieurs phases.  Seuls treize irréductibles ont effectués la boucle complète. Des 15 voiliers engagés, 7 seulement ont mis le cap vers l’Amérique du Nord pour aller saluer leurs concitoyens Saint Pierrais. 

Vue plongeante depuis le fort du Lan

Retrouvailles, pique-niques avec les familles et les amis, déjeuner convivial aux allures de repas de communion, visite privée du fort du Langoustier guidée et commentée par son propriétaire et débriefing de MédHermione par son commodore, ces trois jours porquerollais sont vécus par Philéas qui n’a pas encore rejoint son port base, comme une dernière escale.


Dimanche 20 septembre, 13h30 les dix voiliers MédHermionistes, grand pavois hissé et pavillons des différents pays visités arborés dans la mature, embouquent la grande passe de la rade de Toulon. De nombreux sympathisants se joignent à la parade et escortent la flottille jusqu’au parvis de l’Amirauté. Un comité d’accueil se presse sur le quai et réceptionne les aussières des vagabonds des mers. Le quotidien Var Matin a dépêché une équipe de journalistes pour couvrir l’évènement. Les interviews se succèdent et font la une de l’édition du lendemain. La synthèse des propos recueillis n’est pas toujours fidèle aux récits des MédHermionistes et le style hasardeux du rédacteur surprend.



Faire partager le vécu d’une année de  pérégrinations est une gageure. Le pouvoir des mots a des limites ; les sensations et les émotions se vivent. « Raconter » nos expériences permet néanmoins d’offrir à la famille, aux amis et aux sympathisants un aperçu de nos découvertes, de ce qui nous a fait vibrer pendant ces douze mois.


Parvis amirauté

Parvis de l’Amirauté, en présence d’officiels, Hubert, notre président et commodore de l’expédition se lance dans un discours à l’américaine.  A l’attention de notre comité d’accueil, Hubert présente la synthèse de nos navigations outre-Atlantique, des moments forts de notre périple, des expériences maritimes certes mais aussi humaines. A leur tour, le Préfet Maritime et le Maire de Toulon prennent la parole et saluent les MédHermionistes, leur constance et leur audace.


Après une année à barouder sur l’eau, le retour sur terre  s’avère difficile. Nous  nous sentons  étrangers à toutes ces  turbulences qui nous entourent et plus du tout en  adéquation avec ce monde retrouvé ; nous avons pris du recul, nous avons appris à nous libérer des contingences matérielles inutiles, des préoccupations futiles. Nous retrouvons un univers renfermé sur lui-même, des concitoyens aigris, des commerçants parfois peu aimables. Bienvenue au pays des lamentations ! Les Cubains et les Haïtiens étaient-ils mieux lotis que ces malheureux Français toujours insatisfaits ?


Nous conservons néanmoins  un moral d’acier et nous avons encore bien des projets à l’étude dans notre escarcelle. L’aventure n’est jamais terminée, les voyages forment la jeunesse…  

En haut trajet Canada vers Gibraltar - En bas trajet Gibraltar vers Toulon










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(1)     Philéas a deux quilles.
(2)     1 nautique équivaut à 1851 m.  13 981 nq correspond donc  25 893 km.
(3)     Pays et dépendances visités
-          Espagne : Baléares (4 îles : Minorque – Majorque – Ibiza et Formentera)            -
-          Espagne : La Linea et Carthagène.
-          Espagne : Canaries (2 îles : Graciosa et Lanzarote)
-          Gibraltar  GB
-          Portugal : Archipel de Madère (2 îles : Porto Santo et Madère) - 
-          Portugal : Açores (5 îles : Florès – Faial – Sao Jorge – Terceira et Santa Maria) -
-          Cap Vert (4 îles+ 1 : Sal – Sao Nicolao – Santa Lucia et Sao Vicente + Sao Antao sans Philéas)
-          La Grenade (2 îles :  Grenade et Cariacou)
-          Les Grenadines (4 îles : Union – Tobago cays – Canouan et Bequia)
-          Ste Lucie
-          France : Martinique
-          France :Guadeloupe – Marie Galante – Les Saintes– Iles de la Petite Terre
-          France :  St Barth
-          France : St Martin
-          France : St Pierre et Miquelon
-          Porto Rico (3 îles : Porto Rico – Culebra et Vieques)
-          Haïti (île à Vache)
-          Jamaïque
-          Cuba et ses nombreuses îles
-          Etats-Unis (une vingtaine d’escales dans 10 états)
-          Canada (Nouvelle Ecosse et Cap Breton)

(4)     Etats visités :
-          Floride (Key West et Miami)
-          Caroline du Nord (Beaufort)
-          Delaware
-          Virginie (Norfolk – Yorktown)
-          Washington DC (sans Philéas)
-          Maryland (Annapolis – Baltimore)
-          New Jersey (Cap May)
-          New York (New York et New Rochelle)
-          Connecticut (Newport)
-          Massachussetts (Plymouth et Boston)








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