Cap vers le Cap Vert
Lundi 14 novembre, 10 h 30, nous
quittons la marina de Santa Cruz de La Palma après une semaine
d’escale bien agréable. Philéas file au grand largue, génois
tangonné sous un vent de nord force 5. Très vite le vent tombe, la
mer nous impose une houle de 2 mètres comme pour manifester sa
réprobation de l’avoir délaissée pendant 7 jours. Nous lofons
pour garder un appui, la mer devient désordonnée. Il nous faut nous
amariner à nouveau. Nous naviguons bien à l’ouest de El Hierro,
île des Canaries où une activité volcanique est enregistrée
depuis quelques jours. Le phénomène sismique est sous-marin, il est
prudent d’éviter la zone.
Mardi un vent de nord-est, force
5 est de retour. La mer s’est aplanie. Les conditions sont propices
à un poste de pêche. Première touche, Jean-Pierre ramène la ligne
en fatiguant le poisson. Raté, il s’est décroché : score
poisson 1, JP 0. Quelques heures plus tard, nouvelle alerte, tout le
monde est dans le cockpit, JP le actionne le moulinet, Christian est
prêt avec l’épuisette et moi la bouteille de rhum en main prête
à « anesthésier » la superbe daurade coryphène appelée
aussi « ma hi-mahi », en lui versant le précieux liquide
dans les ouïes. Cette méthode est bien moins barbare, tout aussi
efficace que la méthode consistant à assommer le malheureux
poisson et certainement indolore pour l’infortuné. La daurade
coryphène, magnifique poisson pélagique des mers chaudes aux
couleurs métalliques étincelantes à la caudale en faucille perd de
son éclat lorsqu’elle meurt : sa belle robe disparait avec sa
vie…Le carrosse redevient citrouille après le coup de grâce.
Jean-Pierre et sa 1ère dorade coryphène |
Les journées et les nuits
s’enchaînent au rythme des quarts. Les fichiers GRIB téléchargés
tous les deux jours confirment maintenant l’installation des
alizés. C’est un peu tôt en saison mais une aubaine pour nous.
Philéas file au portant à une agréable vitesse moyenne oscillant
entre 5 et 6 nœuds. De temps à autre des pointes à 8 nœuds sont
enregistrées, l’accélérateur s’emballe !
20h00 début de mon quart, le
vent mollit un peu comme chaque jour à cette heure, les effets du
coucher du soleil, soleil qui a disparu depuis une bonne heure déjà.
Aucune présence humaine visible depuis notre éloignement des îles
canariennes. L’océan semble désert, pourtant une vie sous-marine
intense et réelle existe bien sous mes pieds : les planctons
fluorescents défilant à la proue de Philéas perceptibles
uniquement dans l’obscurité sont un rituel des quarts nocturnes.
Les dauphins sont venus tenir compagnie à JP hier pendant son quart
de nuit. La lune n’est pas encore visible elle apparait finalement
à 23h00. Peu importe le ciel étoilé me tient compagnie. Un ciel
dans lequel aucune lumière artificielle ne vient troubler la beauté
de ce spectacle. Les étoiles ne se dévoilent qu’avec autant de
netteté et de beauté qu’en mer et dans le désert. Combien
d’heures n’ai-je déjà passées à contempler le ciel dans le
désert, à observer et à identifier les étoiles ! Sur l’eau
je retrouve le même ravissement avec un bruit de fond agréable, la
musique des voiles dans le vent, de la coque glissant sur l’océan,
et la chanson particulière de Philéas accélérant sur l’impulsion
des rafales de vent, mélodie troublée parfois par le bruit des
voiles faséyant (j’aime moins, il faut reprendre le réglage !).
Tiens entre l’horizon et le centre de la voûte céleste ORION
dévoile son baudrier à triple diamant en direction du sud, encadré
par Rigel la bleue, Bételgeuse la rouge et Bellatrix. Cette
constellation qui domine le ciel nocturne durant les traversées
d’Atlantique par alizés en saison hivernale est certainement l’une
des plus somptueuses. Plus à droite un amas de sept étoiles
visibles à l’œil nu en toutes saisons ; les pléiades.
La navigation se poursuit au
portant avec une mer toujours agitée. La ligne mise à l’eau reste
muette. Pas de poisson au repas aujourd’hui. Pourtant des exocets
(poissons volants) volent au dessus de la surface de l’eau pour
échapper à leurs prédateurs. Le poisson est bien là mais boude
notre appât. Nous ne sommes pas seuls d’ailleurs en chasse. Des
puffins planent au ras de l’eau, becs en alerte, prêts pour un
plongeon nourricier…
Dimanche 20 novembre 2011, à
l’aube, les îles du Cap Vert se dessinent à l’horizon. 09h00 au
terme de 820 nautiques, Philéas accoste à la marina de Mindelo,
côté ouest de Sao Vicente. Nous avons ralenti notre allure pour
arriver de jour, décision sage à en juger par les nombreuses épaves
non signalées sur le plan d’eau que nous évitons avant de
rejoindre la marina. Qu’il est bon de mettre le pied à terre, hors
de notre shaker géant après 6 jours d’important tangage
incessant !
Arrivée à Sao Vicente |
Archipel du Cap Vert
Sao Vicente et Sao Antao
L’archipel du Cap Vert, situé
à 325 miles de l’Afrique de l’Ouest est composé de 10 grandes
îles et de 4 plus petites formant un fer à cheval ouvert à
l’ouest. Sao Vicente est la seconde plus à l’ouest dans le sens
des aiguilles d’une montre. L’île a été découverte le 22
janvier 1462, le jour de la Saint Vincent d’où son nom. Ces
îles sont toutes d’origine volcanique et la plupart sont
montagneuses avec plusieurs cratères classiques. Elles sont
géologiquement indépendantes du continent africain. La majeure
partie des 227 km2
de Sao Vicente est montagneuse. L’intégralité de l’île manque
d’eau et de végétation et est d’un jaune sable. L’installation
d’une usine de dessalement de l’eau de mer a partiellement résolu
le problème. Presque toute la population vit à Mindelo avec 47 000
habitants et dans sa banlieue environnante. Ancienne colonie du
Portugal, au carrefour des routes vers le Brésil, l’Afrique
Guinéenne et celle du Sud, les îles du Cap Vert furent une
position stratégique pour le commerce triangulaire entre ces 3
continents. Les grandes bâtisses et les étroites rues pavées des
environs du front de mer datent de cette époque. On rencontre à
l’occasion des trottoirs dans le style typique des vieilles villes
portugaises des maisons coloniales aux façades bariolées.
Les habitants sont d’un
naturel ouvert et curieux. Ayant toujours été en contact avec les
étrangers, ils ont l’expérience et l’habitude des cultures
occidentales dont ils ont subi de fortes influences : pratiques
de sport comme le cricket, le tennis, consommation de wisky….Au
plan artistique et littéraire, cette inspiration étrangère est
omniprésente, surtout celle du Brésil. Le carnaval de Mindelo, le
plus important de l’archipel, en est un exemple des plus flagrants.
La langue usitée est un mélange du Portugais et de dialectes
africains, le « criolo ».
Notre dynamique président de
rallye au remarquable talent d’organisateur et à son étonnant
réseau d’amis expatriés nous a concocté un séjour « aux
petits oignons ». Eric et Marie Hélène ont fait de notre
escale une douceur le premier jour, une gourmandise les jours
suivants….Originaires de la Manche, ces « voileux »,
arrivés au Cap Vert il y a quelques années, ont décidé de faire
une escale prolongée à Sao Vicente avant de changer de cap pour le
Pacifique. Propriétaires terriens non loin de Mindelo, ils nous ont
accueillis comme des frères. Notre dernière escale avant le grand
saut fut intense : contacts humains, tourisme, et bien sûr
gastronomie locale. Le marin sevré en période de navigation
recherche les bonnes tables lorsqu’il est sur le plancher des
vaches !
Séquence tourisme sportif
à la
découverte de Sao Vicente et de ses volcans. Lundi 21 novembre, les
chaussures bateau sont troquées contre les chaussures de marche pour
une petite randonnée, fort agréable entre mer et volcans. Le marin
a besoin d’exercices physiques sur un sol non mouvant….. Quel
décor ! A gauche le bleu de l’océan en perpétuel mouvement
contraste avec, à droite, la lave noirâtre, vestige d’une
activité ancienne. Après quelques heures de marche une halte dans
une piscine d’eau de mer protégée des courants est appréciée de
tous pour la partie natation de la séquence. La dernière étape de
notre triathlon est ensuite bouclée avec la dégustation du plat
national : la cachupa.
Ce plat est préparé avec du maïs, des haricots, des fèves, du
manioc, des patates douces, du tarot. Notre cachupa
est riche c'est-à-dire agrémenté de viande (porc, poulet et
chorizo). Pour le dessert nous découvrons le queije,
fromage de chèvre caillé avec de la présure naturelle préparée
avec du lait et du sel que l’on fait sécher dans la panse d’un
chevreau non sevré. Le queije
se mange avec de la
confiture de papaye.
Excursion à Praia Grande |
Plus à l'aise sur l'eau que sur terre ! |
Séquence gastronomie
organisée
par Eric et Marie Hèlène dans leur grande maison Cap Verdienne.
Mardi 22 novembre nous sommes attendus pour un dîner qui va faire
envie à mes amis lecteurs . Marie Hèlène nous a préparé de la
mousse et du carpaccio de garoupa (poisson de la famille du mérou).
Eric s’est occupé des langoustes. Chanter et danser étant
essentiel pour les Capverdiens, un groupe de musiciens-chanteurs nous
fait découvrir la musique de l’archipel : le fado
Capverdien, l’influence portugaise est là omniprésente. Ici
aucune fête ne se conçoit sans musique. L’orchestre qui se
produit pour nous aujourd’hui est composé de maçons qui
travaillent pour notre hôte. Nous passons un agréable moment tous
ensemble. Ce repas restera gravé dans les mémoires pour longtemps.
gastronomie locale |
La cachupa |
Séquence paysages
époustouflants
Mercredi 23 novembre Pascual, belge rencontré chez
Eric et Marie Hélène nous a décrit Santo Antao, l’île sur
laquelle il s’est installé, avec tant d’emphase que nous ne
pouvons que nous y rendre. 07h15 branle-bas de combat sur les pontons
seize marins avides de découvrir l’île fantastique se dirigent
vers la gare maritime. Une heure après nous posons les pieds à
Porto Novo. Des vendeurs de fruits et légumes, de queije, de
confiture de papaye, de goyave nous proposent leurs produits. Offres
tentantes mais nous verrons au retour. Un mini bus nous attend et
Pascual nous guide. Très vite nous adhérons à l’enthousiasme de
notre ami. Sao Antao est d’une incroyable beauté, avec des
montagnes et des vallées profondes, le plus souvent verdoyantes. A
certains moments j’ai l’impression de revoir les paysages
grandioses du Lesotho. Le reboisement y a été important, facilité
par un climat favorable et des pluies régulières.
Vallée de Paul - Sao Antao |
Avec ses 779 km2
de superficie cette île du Cap Vert arrive en deuxième position par
sa taille derrière Santiago. Ile très montagneuse avec trois pics
qui culminent à plus de 1800 m, alignés du sud-est au nord-ouest,
formant ainsi une chaine qui sépare l’île en deux versants. Sao
Antao surprend par son contraste, mélange de végétation et de
terres arides. Le nord, humide, est pourvu de plantations et de
cultures, c’est la zone verte, alors que le sud reste très sec. Le
centre est très frais car il se trouve sur les hauteurs. C’est
l’île la plus arrosée de l’archipel et elle possède de
nombreuses variétés d’espèces florales et végétales.
Traite très artisanale ! |
L’activité est essentiellement rurale et les moindres parcelles
arables sont exploitées. Les récoltes sont vendues à Mindelo. On y
cultive particulièrement la canne à sucre, le maïs et la banane et
l’île est parsemée d’arbres fruitiers tels que les papayers,
les cocotiers et les manguiers.
Sao Antao |
De Porto Novo nous nous
dirigeons vers le nord, de l’autre côté de l’île en empruntant
une route pavée tortueuse construite à la main pierre par pierre à
travers la montagne. On la surnomme « Estrada Corda », la
route de la corde car elle traverse l’île telle une corde jetée
dans la nature, passant dans la montagne à plus de 1 000 mètres
d’altitude d’un bout à l’autre de Sao Antao. Pendant les dix
premières minutes du trajet, on se demande vraiment s’il existe
une végétation sur cette terre. Puis peu à peu apparaissent les
premiers sapins, par dizaines, par centaines. C’est vraiment une
merveille jusqu’à Ribeira Grande. Cette route qui chevauche les
cimes des montagnes tournoie au-dessus des précipices avec des
gouffres de plus de 1000 mètres de chaque côté. Nous sommes
émerveillés par tant de beauté. De l’autre côté de l’île
et de la chaîne de montagnes, les vallées luxuriantes se
multiplient et se confondent dans une couleur verte de plus en plus
présente.
Salon de thé et cyber café en brousse.... |
A chaque tournant, à chaque descente, des situations
insolites invitent à pénétrer à l’intérieur de l’île. Une
multitude de maisons de pierre accrochées aux flancs des montagnes
défile tout le long de cette route surprenante. Par quel miracle
tiennent-elles sur ces pentes et comment les paysans s’y sont-ils
pris pour les construire ? Nous allons de ravissement en
ravissement. A regret nous devons reprendre le ferry pour rejoindre
Mindelo. Nous quittons Pascual non sans l’avoir chaleureusement
remercié pour cette extraordinaire journée. Nous garderons avec
nous des souvenirs indélébiles de Sao Antao dans nos mémoires de
globe-trotters.
Sur les chemins de Sao Antao |
Jeudi 24 novembre, il est grand
temps de préparer le départ. Nous avons moult besognes à finaliser
avant notre départ pour le grand saut vers les Antilles.
Vendredi 25 novembre,
appareillage prévu pour 2100 nautiques d’une traite à couvrir sur
un peu plus de deux semaines si les alizés nous sont fidèles. Notre
escale initialement prévue à La Barbade reste incertaine. Nous
avons prolongé un peu plus que prévu notre séjour au Cap Vert.
Eole sera maître en la matière comme toujours !
Pêche au filet |
Visages du Cap Vert |
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