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lundi 17 novembre 2014

EN ROUTE VERS L'ARCHIPEL DU CAP VERT

Avec l’arrivée d’Alain nos quarts s’en trouvent allégés. Nous apprécions de tourner seulement toutes les quatre heures. Finis les six heures de veille nocturne.

Archipel du Cap Vert
Dès le départ un vent de nord-est de force variant entre 4 et 6 nous pousse vers notre destination. Mais comme rien n’est jamais parfait une houle croisée ballotte Philéas de bâbord à tribord. J’ai du mal à m’adapter à cette mer hachée et à ces vagues courtes. Qui parle du confort d’une allure au portant? Dans ces moments je pense réellement que l’amour de la mer est un manque de discernement…


Pendant sept jours la houle s’impose, tantôt ronde tantôt plus brutale. Le vent quant à lui, pour la première fois enfin depuis notre départ de Toulon ne nous fait pas faux bond pendant cette traversée. En revanche nos tentatives de pêche restent vaines. Aucune des trois lignes de traîne mouillées n’aiguise l’appétit d’une petite dorade coryphène ou d’un thon, conséquences sans doute d’une mer trop agitée. La poêle reste désespérément vide ! Seuls quelques exocets viennent s’échouer sur le pont de Philéas pendant la nuit. Lors d’un de mes quarts nocturnes un poisson volant, es-commando suicide, tente de m’assommer. Je ne dois mon salut qu’à la capote qui fait écran entre nous, tandis que son binôme atterrit dans l’épuisette restée sur le passavant…

La veille de notre arrivée tout l’équipage gagne une journée spéciale rodéo. La mer s’enrage, s’acharne furieusement sur Philéas. Tel le roseau il fléchit –mais ne se rompt point-, perd l’équilibre, part au rappel avec brusquerie puis finit par se redresser. A l’intérieur malheur à l’imprudent qui omet de se tenir ou aux objets qui ne seraient pas arrimés. A l’heure des repas, pas de mondanité à bord, nous empoignons fermement nos assiettes, il suffit d’une seconde d’inattention pour que leur contenu entame une valse à un temps. Parfois, Furiosa vexée revient à la charge sans scrupule. La hanche de Philéas s’applique à épauler au mieux les lames scélérates.


A l’aube du septième jour se dessine devant nous l’île de Sal puis peu à peu la baie de Palmeira. Le fonctionnement des feux de signalisation à l’entrée du port étant aléatoire nous avons réduit notre vitesse en cours de nuit pour n’arriver qu’au petit matin. Nous croisons quelques pêcheurs sur leurs barques colorées se dirigeant vers le large. Au  milieu du chenal d’entrée nous distinguons des coffres d’amarrage puis quatre bouées signalant le quai des tankers. Elles ne sont pas allumées ... Après une semaine de stage intensif au twist, la fin de l’entraînement est bienvenue. Il ne faut pas abuser de la « générosité » de la mer !

Des taches plus terre à terre nous attendent : formalités douanières et d’immigration. C’est parti pour la tournée des administrations : police maritime puis police des frontières installée sur le site de l’aéroport à 7 km de la ville. D’après les us et coutumes seul le skipper du voilier est autorisé à se rendre à terre pour effectuer toutes ces démarches. L’équipage ne peut débarquer qu’à l’issue de l’achèvement de toutes ces opérations. Le 12 novembre  l’officier d’immigration de permanence décide que tous les membres doivent se présenter, mais en dehors des périodes de pointe, c’est-à-dire des atterrissages d’avions.

Aéroport de Sal

Le lendemain nous nous rendons tous en bus local à l’aéroport. L’officier du jour ne s’intéresse qu’au skipper et semble embarrassé par notre présence. Pour une fois nous aurons fait notre entrée à l’aéroport comme tout le monde !

A Palmeira  nous avons notre guide personnel, mon oncle Jean-Pierre arrivé par voie aérienne deux jours auparavant. Pas besoin d’ouvrir le petit futé ou le lonely planet, il connaît déjà tout de Sal. Il a tué le temps le séparant de notre arrivée en discutant avec les autochtones et notamment avec Omar qui lui a présenté son île.

Le Cap Vert totalise 10 îles dont 9 habitées et 8 îlots situés à environ 450 km au large du Sénégal. L’archipel, essentiellement d’origine volcanique, se divise en deux ensembles géographiques suivant leur exposition aux alizés : les îles Barlavento au nord plus exposées au vent et plus fraiches (Boa Vista, Sal, Sao Nicolao, Santa Luzia, Sao Vicente et Santo Antao) et les îles Sotavento ou îles sous le vent non exposées et donc plus chaudes (Brava, Fogo, Santagiao et Maio). Le Cap Vert reste pendant presque toute l’année sous  l’influence de l’anticyclone des Açores qui génère des vents dont l’alizé et affecte les courants marins.
Avec Philéas nous ne ferons escale qu’aux îles Barlavento (Sal, Sao Nicolao, Santa Luzia, Sao Vicente et Santo Antao) avant de traverser vers les Antilles.

Sal, île la plus connue de l’archipel du fait de son aéoroport international s’étend sur 30 km de long et 12 de large. Plat et désertique, son paysage est nu, aride et sec.  Elle est l’une des trois plus anciennes îles de l’archipel. Bordée par une belle plage de sable fin au sud-ouest elle est un spot référencé pour la  planche à voile, le kite surf, et le surf. Les magazines spécialisés classent le site parmi les meilleurs au monde, à un niveau ayant peu à envier à celui d’Hawaï. De nombreux surfeurs y viennent entre novembre et avril  pour profiter des alizés et de la forte houle qui en découle.

L’intérêt d’un séjour à Palmeira étant limité nous aspirons à un mouillage plus attrayant. Nous optons pour l’une des deux belles plages réputées de l’île où nous entendons bien nous baigner. Avant d’appareiller nous récupérons contre quelques euros l’acte de francisation de Philéas conservé deux jours auparant par l’officier de police maritime.

La baie de Mordeira, sauvage, vierge de toute présence humaine nous accueille. Une immense piscine encercle Philéas. Le long de la plage de beaux rouleaux viennent s’écraser contre le rivage et poussent le baigneur sur la plage. En revanche pour rejoindre Philéas il faut ruser, s’élancer entre deux trains de vagues et s’éloigner au plus vite de la côte.
Le lendemain matin nous apercevons des 4X4 des tours opérateurs baladant leur lot de touristes au milieu des dunes. Dans l’après midi le groupe n° 2 débarque sur la plage pour s’essayer au stand up paddle. En fin d’après midi nous nous retrouvons à nouveau les uniques occupants des lieux et savourons un ti-punch en observant le coucher du soleil.  Un avant goût des Antilles !
Avant de rejoindre Sao Vicente, notre prochain port de regroupement, nous mettons le cap sur Sao Nicolao situé à 90 nautiques dans l’ouest de Sal. Très vite mon oncle découvre le dessous des cartes de la navigation : le mal de mer. Une mer agitée prend sournoisement son estomac pour otage... Son malaise va croissant, la phase d’amarrinage a débuté dès son premier jour de mer à bord de Philéas et durera jusqu’au mouillage de Porto de Tarrafal.   

Tarrafal, le plus grand des trois ports de l’île est peu fréquenté par les voiliers de passage. Une grande plage de sable noir borde la ville. D’après les guides touristiques les vertus curatives des sables noirs de Tarrafal, chargés en iode et en titane seraient excellents pour soulager l’arthrite et les rhumatismes. Pour être efficient l’enveloppement requiert 4 heures de patience. Aucun candidat à bord de Philéas ne s’est porté volontaire pour le test d’efficacité !

La moyenne d’âge de la population que nous côtoyons est peu élevée. De nombreux enfants profitent des bienfaits de la baignade et se satisfont de peu de chose. Très peu de jeunes gens disposent d’un téléphone portable basique. Les smartphones seraient bien inutiles ici nous n’avons pas trouvé de connexion wifi.

Le littoral très découpé de l’île est escarpé  tandis que l’intérieur présente de multiples montagnes et des vallées étroites et profondes plus ou moins verdoyantes, où se concentre la plus grande partie de la population. Le paysage est sauvage, rude et austère. De nombreuses traces de lave et d’éboulis omniprésentes à Sao Nicolao témoignent d’une activité volcanique très intense par le passé. Les canyons très profonds font penser à des paysages de Far West. Autre contraste saisissant, la côte ouest du côté de Tarrafal, zone plutôt aride et sèche avec ses montagnes et ses plages, qui côtoie une région fertile, Riberia Brava, Agua das Patas et la plaine de Faja, recouverte d’arbres et de cultures.  Sao Nicolao est considérée comme l’une des quatre îles agricoles du Cap Vert. La région de Faja, la plus verte,  héberge les principales cultures, grâce à une nappe phréatique souterraine. L’eau est acheminée par une galerie de 2 km creusée dans la roche. Ces travaux ont été réalisés avec l’aide matérielle  et financière de la France.


A Tarrafal nous nous étonnons du nombre significatif de maisons et petits immeubles construits au cœur et en périphérie du village. Les façades présentent pour la plupart des arrondis, des balcons en forme de demi-lune agréables à regarder. L’architecte a fait preuve de goût. Si la construction de certains bâtiments semble avoir été suspendue depuis un bon moment d’autres maisons sont en phase d’achèvement. Le travail paraît soigné, les peintures vives et variées des façades dénotent un goût prononcé des Cap Verdiens pour les couleurs criardes.


A la sortie de Tarrafal, un grand collège flambant neuf attend ses élèves, le terrain de football, récent également, est quant à lui envahi par des joueurs motivés. A l’extérieur du village un lotissement surprenant aux maisons toutes identiques, alignées au cordeau et encerclées par une clôture de fil de fer barbelé bordent la plage. Nous nous interrogeons sur l’utilité de cet ensemble immobilier ; aucune âme qui vive  n’anime ce site fantôme. La plupart des constructions récentes, d’ailleurs, sont inhabitées. D’où proviennent les fonds, fonds européens, internationaux, blanchiment d’argent ? Nous n’en saurons pas davantage pour l’instant.

Le dimanche matin, Jean-Pierre, Alain et moi partons à la ville en transport en commun. Christian reste à bord pour garder Philéas. Ribeira Brava est le chef lieu de l’île avec 5 000 habitants sur les 13 000 peuplant Sao Nicolao. Antonio, notre chauffeur, fait trois fois le tour du village espérant remplir son mini bus, en vain, les villageois sont à la messe et les rues sont désertées. Nous serons les seuls passagers.
Dès la sortie de Tarrafal les rues pavées font place à une belle route  au  revêtement uniforme. Pas un seul nid de poule, pas une bosse. Un bitume à faire pâlir d’envie les Toulonnais de passage !

Peu à peu nous quittons les paysages arides et secs proches de la mer, et prenons de l’altitude. Notre chemin serpente au milieu d’une région verte : le grenier de Sao Nicolao. Nous traversons des cultures vivrières et maraîchères. Manioc, ignames, haricots, bananiers, papayers, patates douces, pommes de terre, maïs abondent entre Faja de Cima et Faja de Baixo, non sans effort ; le Cap Verdien s’est adapté au relief de son île et pratique de façon artisanale la culture en terrasses. Ici et là nous croisons des ânes destinés au transport des récoltes, des femmes portant sur leur tête de lourdes charges. Quelques rares chèvres et veaux patûrent à flanc de coteau. Nous sommes loin de l’élevage intensif des bovins et des ovins engraissés aux granulés. Ici des coqs et des poules réellement élevés en plein air, grattent le sol et chantent à tout moment de la journée.

Paysage à l'intérieur de Sao Nicolao 

A col de Cachaco, un point de vue splendide sur la vallée de Ribeira Brava s’offre à nous. Nous conservons les yeux rivés sur ce paysage grandiose. Notre bus contourne la montagne, descend une vallée, remonte vers l’autre versant, longe la côte nord-est avant de faire route à nouveau vers le centre de l’île. Quelques cinquante minutes après notre départ nous arrivons à Ribeira Brava. Antonio s’arrête sur la place principale de la ville. Les rues ne sont pas très animées. Les Cap Verdiens, très croyants, sont encore à l’office. Le dimanche matin l’église, reconstruite en 1891, accueille les fidèles de l’agglomération et des communes environnantes. Nous flânons dans les vieilles rues pavées étroites. Là aussi les façades des maisons sont très colorées et le terrain de football tout neuf, aux murs d’enceintes peints d’un orange et d’un vert flamboyant, attire le regard. Des panneaux publicitaires informent les adminstrés des efforts faits par le gouvernement, soutenu par des banques et autres sponsors, pour faciliter les conditions de scolarisation des enfants : 200 000 kits scolaires ont été distribués dans les écoles en 2014.    


A l’issue de la messe les paroissiens empruntent les bus stationnés sur la place de l’église pour rejoindre leur village. Nous ne sommes plus les seuls clients d’Antonio qui vient nous chercher à l’épicerie du coin avant de repartir. Nous saluons les autres passagers d’un « bom dia[1] » et prenons place. Ma voisine, âgée d’une cinquantaine d’années engage la discussion. Un mélange de Portugais, de Français et d’Espagnol nous permet de contourner la barrière de la langue. Elle habite la ville m’affirme t-elle avec fierté et se rend à Tarrafal pour visiter sa famille. Elle me commente les paysages, m’indiquent les chemins de randonnées et m’entretient sur la pluviomètrie de l’île. Cette année se désole-t-elle est une année de sècheresse, la pluie espérée entre juin et septembre a fait défaut. En 2009, ce fut l’inverse, des pluies torrentielles ont entraîné des inondations. Parvenus à destination nous prenons congé.

Le lendemain matin je reprends la route vers Ribeira Brava. Antonio m’apercevant sur le bord du chemin s’arrête. Pendant une vingtaine de minutes, il tourne dans le village pour remplir son mini-bus. Nous croisons des enfants tirés à quatre épingles marchant vers l’école. Tous revêtent un uniforme : une blouse bleue claire. Je souris en croisant  deux petites filles tenant un parapluie rose imprimé de petits dessins enfantins. Leur innocence attirerait-elle la pluie ?

Mon déplacement est motivé par la gourmandise, gourmandise des yeux certes, la route scénique reliant Ribeira Brava est très agréable mais la gourmandise du ventre intéresse davantage l’équipage resté à bord… Un approvisionnement en fruits et légumes frais produits localement est le bienvenu pour améliorer l’ordinaire. Dans les villages traversés, Antonio fait des détours, livre des paquets, en réceptionne d’autres, tantôt s’arrête pour embarquer des passagers, tantôt recule de deux mètres pour prendre une personne. Les villageois ne se hâtent point, ne pressent jamais le pas à l’arrivée du bus. Ici pas d’énervement, pas d’horaire à tenir, le chauffeur attend sans manifestation d’impatience des passagers. Tous se connaissent et se rendent service mutuellement.

Mon marché à la ville sera vite fait. En revanche il me faudra apprendre la patience et attendre que le bus pour Tarrafal se remplisse. Ici la notion de temps est relative, si les usagers ne sont pas là ou tout simplement pas prêts, le chauffeur ne part pas. J’ai adopté le rythme cap verdien ; pour vingt minutes passées au marché j’ai quitté Philéas à 8h00 pour n’être de retour que vers 11h00 !


Après un rapide déjeuné nous appareillons pour Santa Luzia, située à 27 nautiques dans l’ouest, notre dernière escale avant de retrouver nos camarades à Mindelo.
Santa Luzia est une île déserte et inhabitée et très souvent ventée. Le sud est plat avec des dunes et des plages, tandis que le nord est plus élevé avec des falaises plongeant dans la mer. Nous mouillons sur la côte ouest, le long d’une plage paradisiaque. Nous n’entendons que le bruit des vagues qui viennent s’échouer sur le rivage. En surface le sable est blanc mais dès que les pieds s’enfoncent le sable noir d’origine volcanique apparaît. De nombreux petits crabes, des pluviers en quête de nourriture courent sur le rivage. Mon abordage avec palmes, masque et tuba les dérange et les fait fuir.

Nous séjournons une journée et deux nuits dans ce petit paradis avant de rejoindre Sao Vicente et la civilisation.    

Sao Vicente vue de Santa Luzia





[1] Bom dia : bonjour. Terme utilisé le matin. Pour l’après midi bonjour se dit » boa tarde »     

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